Les difficultés des États sahéliens et des acteurs internationaux à enrayer les activités des groupes armés djihadistes expliquent que des nuages sombres s’amoncellent autour de certains pays côtiers ouest-africains. Comment y faire face ?
Ces dernières années, des pays comme le Bénin, le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Togo, voire le Sénégal, font face à des défis inédits. Depuis plusieurs années, le problème s’épaissit car, progressivement, certains territoires des pays côtiers d’Afrique de l’Ouest, attenants au Sahel, ne sont plus simplement des zones de repli pour ces groupes, mais bien de nouveaux fronts pour les insurrections djihadistes. Cette situation sociopolitique inquiétante n’est pas aussi dégradée qu’au Burkina Faso ou au Mali. Néanmoins, une réflexion globale est nécessaire sur les moyens de contenir la menace de manière durable, ainsi que sur le rôle que doit jouer la réponse coercitive face aux insurrections. Le défi est de ne pas reproduire les erreurs des dix dernières années au Sahel, pendant lesquelles terrorisme et contre-terrorisme ont entretenu des logiques et économies de la violence, une spirale qui semble sans fin.
Le développement d’insurrections
Le 13 mars 2016, l’attentat de Grand-Bassam, une station balnéaire près d’Abidjan, occasionnant 22 morts, fut un coup d’éclat en forme d’avertissement. Cet attentat a souligné que les économies et logiques de la violence en progression au Sahel depuis le premier coup d’État au Mali en 2012 peuvent bien progressivement affecter les pays côtiers. En mai 2019, l’enlèvement de deux touristes français et l’assassinat de leur guide béninois dans le parc national de la Pendjari fut un autre signal.
Les mouvements de groupes djihadistes du Mali ou du Burkina Faso vers la Côte d’Ivoire sont connus depuis au moins 2015, lorsque la katiba (« bataillon », en arabe) Khalid Ibn Walid, liée à la katiba Macina, a transité du Mali via la Côte d’Ivoire pour échapper à des poursuivants (1). Le Bénin est un des pays les plus en difficulté, en particulier dans les aires protégées du parc transfrontalier du W et du parc national de la Pendjari. Dans le Nord du Ghana, en 2021, était déjà évoquée la présence d’environ 200 recrues ghanéennes issues du Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin (JNIM), groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, et de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) (2). La Côte d’Ivoire a été la cible de nombreuses attaques lors de la période 2020-2021. La situation semble s’être stabilisée, mais les forêts attenantes au Burkina Faso, en particulier dans le parc national de la Comoé, seraient toujours des zones d’incursion. Le Togo a également été la cible d’attaques, même si le pays est moins vulnérable que son voisin béninois, tandis que le Sénégal subit la grave détérioration de la situation dans le Sud-Ouest malien, dans la région de Kayes, source d’inquiétude. La menace des insurrections djihadistes est ainsi représentée principalement par la volonté d’implantation du JNIM, à travers des katibas qui lui sont associées, par exemple Macina, Serma et Ansarul Islam, mais aussi dans une moindre mesure des groupes liés à l’EIGS.
Alors qu’ils étaient depuis plusieurs années des zones de repli pour s’extraire de la réponse coercitive des États sahéliens ou de l’intervention Barkhane, ces territoires deviennent de manière croissante pour les groupes des opportunités de ressources financières via un ensemble d’activités économiques, des bassins de recrutement, mais aussi des possibilités d’implantation durable. Depuis plusieurs années, ces groupes ont ainsi une stratégie de harcèlement des forces de sécurité aux frontières, d’infiltration des denses forêts transfrontalières difficiles à défendre et à surveiller, et surtout une capacité indéniable, comme au Sahel, à construire une emprise sur des sociétés locales fragilisées en utilisant à la fois la violence et la persuasion.
Des États sous pression
La vitalité de ces insurrections repose sur un ensemble de facteurs complexes, mettant en difficulté des États qui, historiquement, ont négligé des territoires éloignés des centres de décisions politiques. La régulation sociale des conflits liés aux terres agricoles, en particulier concernant la question pastorale, est au cœur des enjeux, tout comme au centre du Mali ou au Niger.
Dans un contexte de pression foncière dans des territoires ayant peu d’opportunités économiques, les difficultés de cohabitation entre les pasteurs transhumants et les populations sédentaires sont citées dans plusieurs zones septentrionales des pays du golfe de Guinée, en particulier au Ghana et au Bénin. Les violences contre des populations peules qui pratiquent le pastoralisme sont particulièrement alarmantes (3). En Côte d’Ivoire, les attaques des groupes dans la période 2020-2021 ont tendu les relations entre les autochtones et les éleveurs principalement peuls. L’action locale de l’État était ainsi perçue comme insuffisante face aux tensions entre éleveurs et agriculteurs (4).