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Sortir de l’engrenage ? Les États côtiers d’Afrique de l’Ouest face au développement des insurrections djihadistes

Soutenir la cohésion entre les communautés frontalières est ainsi essentielle, tandis que la mesure des progrès ne devrait pas simplement se focaliser sur le nombre d’attaques terroristes, mais aussi sur la capacité de l’État à perturber la chaîne d’approvisionnement des groupes et de les priver de leurs ressources, notamment des trafics illégaux. Cela nécessite de s’intéresser à un ensemble d’acteurs qui dépassent largement les groupes djihadistes.

La coopération régionale reste balbutiante. L’Initiative d’Accra, regroupant sept pays ouest-africains (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ghana, Mali, Niger et Togo), est une modalité souple avec certains bienfaits, notamment ceux d’une socialisation commune de ces pays dans un cadre d’échanges d’informations sur la lutte contre le terrorisme, ainsi que la mise en place d’opérations conjointes. Les pays du golfe de Guinée cherchent à accélérer l’opérationnalisation de cette initiative en mobilisant l’Union européenne mais, jusqu’ici, les efforts restent encore limités. La solidarité régionale, par exemple avec le cas de l’accueil des réfugiés burkinabés en Côte d’Ivoire, doit être aussi au cœur d’une réflexion à long terme sur la résolution des conflits.

Pour les acteurs internationaux, soutenir les pays côtiers pour enrayer l’expansion des groupes doit être prioritaire. Les besoins budgétaires de pays souvent déjà sous pression doivent être pris en compte. Ils ont besoin des marges de manœuvre nécessaires pour mettre en place des politiques publiques innovantes dans le domaine socioéconomique ou des infrastructures. Il est aussi nécessaire de répondre aux demandes de renforcement des capacités sécuritaires, comme celles du Bénin. Mais une logique de « do no harm » (15) doit guider les efforts, en mettant en avant la protection des civils et des relations saines entre les forces de sécurité et les communautés transfrontalières.

Enfin, des efforts de négociation sont nécessaires pour trouver des issues durables aux insurrections, en utilisant le rapport de force militaire pour permettre des « négociations discrètes » (16). Par ailleurs, l’investissement dans des dialogues pour la question pastorale doit contribuer à trouver des solutions durables aux conflits. Cet équilibre entre coercition et négociation est difficile, mais des cas comme le Niger et la Mauritanie montrent que rien n’est inéluctable face aux insurrections.

Notes

(1) Antonin Tisseron, « La coopération sécuritaire et judiciaire en Afrique de l’Ouest face au défi de la lutte contre les groupes armés jihadistes », Études de l’IRSEM, n°81, p. 21, juin 2021 (https://​rb​.gy/​6​p​p7l).

(2) Promediation et Konrad-Adenauer-Stiftung, « La menace djihadiste au nord du Ghana et du Togo : état des lieux et perspectives pour contenir l’expansion », mars 2022 (https://​rb​.gy/​e​v​sp4).

(3) Mathieu Pellerin, « Les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest. Nouvelle terre d’expansion des groupes djihadistes sahéliens ? », Notes de l’IFRI, février 2022 (https://​rb​.gy/​2​s​p89).

(4) Entretien (téléphone, notes carnet) avec un responsable des droits humains, Côte d’Ivoire, mai 2021.

(5) Lassina Diarra, « Radicalisation et perception de la menace terroriste dans l’extrême nord de la Côte d’Ivoire », Timbuktu Institute, 7 juin 2021 (https://​rb​.gy/​b​b​xmu).

(6) Jeannine Ella Abatan, « La collaboration population-État contre l’extrémisme au Bénin et au Togo : une arme à double tranchant », Institut d’études de sécurité, 12 juin 2023 (https://​rb​.gy/​f​y​91m).

(7) Frédérick Madore, « Lutte contre le terrorisme et sécuritisation du salafisme au Bénin et au Togo : instrumentalisations diverses d’une “menace étrangère” », BulletinFrancoPaix, vol. 7, n°8, octobre 2022 (https://​rb​.gy/​a​5​pux).

(8) Nicolas Hubert, « Industries minières et violences au Burkina Faso. Comment le développement minier a-t-il contribué à l’expansion des groupes armés ? », Politique africaine, n°167, pp. 119-140, 2022 (https://​rb​.gy/​b​m​kh0).

(9) Antônio Sampaio et al., « Une réserve de ressources : Les groupes armés et l’économie des conflits dans les parcs nationaux du Burkina Faso, du Niger et du Bénin », Global Initiative against Transnational Organized Crime, mai 2023 (https://​rb​.gy/​w​q​orj).

(10) International Crisis Group, « Contenir l’insurrection jihadiste dans le Parc W en Afrique de l’Ouest », Rapport Afrique, n°310, p. 6, 26 janvier 2023 (https://​rb​.gy/​g​x​zmc).

(11) Ibid., p. 10.

(12) Kars de Bruijne, « Laws of Attraction : Northern Benin and risk of violent extremist spillover », Conflict Research Unit Report, Clingendael, juin 2021 (https://​rb​.gy/​s​v​rtv).

(13) Mathieu Pellerin, op. cit., p. 23.

(14) Entretien (téléphone, notes carnet), chercheur, Abidjan, avril 2021.

(15) Gilles O. Yabi, « How Can the United States Better Engage with Africa’s Fragile and Conflict-Affected States ? », Carnegie, mars 2023 (https://​rb​.gy/​a​i​hhh).

(16) International Crisis Group, op. cit., p. 24.

Légende de la photo en première page : Sécurisation d’un festival au Bénin. Les autorités du Bénin et du Togo adoptent des mesures pour prévenir l’extrémisme violent, telles que l’implication des populations dans la recherche de solutions, notamment la fourniture de renseignements. Mais, dans un contexte sécuritaire de plus en plus volatile, la collaboration entre l’État et les civils comporte des risques pour les populations, qui ne doivent pas être de simples viviers d’informations. La collaboration devrait être considérée dans sa globalité. (© Shutterstock)

Article paru dans la revue Diplomatie n°122, « Afrique : le prochain califat ? », Juillet-Août 2023.

À propos de l'auteur

Maxime Ricard

Chercheur Afrique de l’Ouest, Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) et chercheur associé au Centre FrancoPaix de la Chaire Raoul-Dandurand (Université du Québec à Montréal). L’auteur remercie Lola Jaccod et Romane Reynaud pour leur assistance.

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