En juillet 2021, les Nations unies tirent la sonnette d’alarme (1). Sans aide des organisations internationales, les Établissements des eaux du Liban ne pourront plus assurer la distribution d’eau potable, et ils risquent de laisser la population dépendante d’autres sources d’approvisionnement dont les prix sont prohibitifs. Un an plus tard, le ministère de l’Énergie et de l’Eau libanais reconnaît que cette répartition a diminué de 70 % depuis 2019. Si la crise que traverse le pays a poussé les services d’eau au bord de l’effondrement et mis les habitants dans une situation critique, les racines du problème sont anciennes.
« On vit au jour le jour. » Tels sont les mots d’un représentant de l’Établissement des eaux de Beyrouth et du Mont-Liban, l’un des quatre organismes régionaux responsables de l’approvisionnement, de l’assainissement et de l’irrigation. Alors que des stratégies d’investissements sur cinq ans avaient été lancées en 2018, l’heure est à la débrouille quotidienne pour faire fonctionner tant que faire se peut les systèmes existants. L’impact de la crise sur les réseaux d’eau est révélateur de son caractère systémique et des effets d’entraînement multiformes de l’effondrement financier du pays (2).
Un service public en faillite sous perfusion internationale
La crise de la production électrique est la difficulté majeure à laquelle sont confrontés les Établissements des eaux. Alors que les systèmes de production, de traitement et de distribution d’eau fonctionnent en grande partie sur le pompage électrique, Électricité du Liban (EDL) ne fournit plus que 2 à 3 heures de courant par jour. La plupart des stations étaient déjà équipées de générateurs destinés à pallier les coupures, mais ceux-ci doivent tourner à plein régime dans un contexte où le carburant est soumis à une inflation galopante. En octobre 2021, l’Établissement des eaux du Liban-Nord estimait que le coût mensuel du diesel nécessaire au fonctionnement des générateurs représentait la moitié des revenus annuels (environ 8 millions d’euros). La dévaluation de la livre rend par ailleurs inabordable l’achat de matériels et d’équipements généralement importés, venant encore dégrader les capacités des Établissements à assurer l’exploitation et la maintenance des infrastructures (3). Si le prix de l’abonnement a été multiplié par trois (entre 500 et 700 euros par an), il reste insuffisant pour couvrir ces dépenses. D’autant que le taux de recouvrement des factures a diminué, passant par exemple de 69 à 59 % à Beyrouth-Mont-Liban entre 2019 et 2020, résultat qui s’est sans doute aggravé, parallèlement à l’appauvrissement de la population (4).
Cette crise financière des Établissements des eaux se double d’une crise des ressources humaines. Leurs employés subissent de plein fouet la situation. Les administrations parviennent encore à payer les salaires, mais leur valeur réelle s’est effondrée au rythme de la dévaluation et de l’inflation. Les personnels les plus qualifiés, plus susceptibles de trouver un autre emploi dans les organisations internationales ou à l’étranger, ont démissionné. Comme dans de nombreuses administrations, l’absentéisme est élevé chez ceux qui sont restés, les salaires ne permettant souvent pas de couvrir les coûts de transport pour se rendre au travail.
Dans ces conditions, seule l’aide internationale a permis de « garder les robinets ouverts » (5). Après une livraison iranienne à l’été 2021, le Programme alimentaire mondial (PAM) a mené un plan d’approvisionnement en fioul dans les quatre Établissements des eaux de septembre 2021 à mars 2022. Le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) a de son côté pris en charge la maintenance des systèmes, assurant les réparations, la fourniture des pièces de rechange, voire celle de nouveaux équipements. Il faut ajouter à cette aide d’urgence une multitude de projets de développement menés par différents bailleurs de fonds et ONG, allant de la formation du personnel des Établissements des eaux à la mise en place de nouvelles infrastructures, en passant par l’installation de panneaux solaires sur les stations de pompage. Ces aides ont permis d’assurer tant bien que mal une distribution d’eau minimale à une population qui peine cependant à satisfaire ses besoins.
Un accès à l’eau potable dégradé et très coûteux
Une étude menée dans le cadre des interventions d’urgence de l’ONU en 2021 montre qu’une part non négligeable des Libanais éprouve des difficultés à accéder à l’eau potable (8,5 %) et domestique (16,4 %), avec des différences régionales importantes cependant (6). La non-satisfaction des besoins concernant l’hygiène (16,2 % en moyenne) peut ainsi varier de 1,2 % (dans le district de Sour, dans le sud du pays) à 31,1 % (Chouf, dans le sud du Mont-Liban), les régions du nord, de Beyrouth et du Mont-Liban étant les plus touchées. La diminution de l’approvisionnement public pèse dans ce déclin des conditions de vie, obligeant les ménages à se tourner de manière croissante vers des solutions alternatives.