Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

La politique climatique chinoise : entre contraintes domestiques et engagements internationaux

La politique climatique chinoise est à l’image du visage de la déesse scandinave Hel. Un côté clair : la ratification de l’accord de Paris, la production et l’installation à grande échelle d’équipements bas carbone, le renforcement des législations environnementales… Une face sombre : presque 30 % des émissions mondiales de CO2, une construction massive de centrales à charbon, l’absence de relèvement significatif des engagements pris lors de la COP21… Un apparent paradoxe qui s’explique — outre l’évidente difficulté à réorienter une économie d’1,4 milliard d’habitants — par le fait que les décisions prises par Pékin dans le domaine climatique résultent de l’interaction entre considérations de politique intérieure et de politique étrangère qui tantôt convergent tantôt s’opposent.

Durant de nombreuses années, les responsables chinois se sont montrés opposés à tout engagement de leur pays en matière de lutte contre le changement climatique. Le statut de pays « non-Annexe 1 » dans la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) de 1992 et de pays « non-Annexe B » dans le protocole de Kyoto de 1997 dispensait l’empire du Milieu de tout effort de réduction, et même de contrôle, de ses émissions de gaz à effet de serre. Et puis, à partir de 2007 (17e Congrès et réélection de Hu Jintao), mais surtout de 2012 (18e Congrès et accession au pouvoir de Xi Jinping), cette position cède progressivement la place à une prise de conscience des problèmes climatiques et environnementaux qui va se doubler d’une volonté de peser dans la préparation de l’accord de Paris afin de faire apparaître la Chine comme une puissance leader dans la politique climatique mondiale.

De nombreuses raisons peuvent expliquer une telle évolution. Trois nous paraissent essentielles. Elles concernent les domaines socio-environnemental, économique et diplomatique.

La première raison est liée aux conséquences environnementales de plus de quatre décennies de croissance soutenue. En effet, depuis le début des réformes impulsées par Deng Xiaoping en 1978, le PIB chinois est passé de 422 milliards en 1980 à 14 620 milliards de dollars en 2020, soit une multiplication par 34. Dans le même temps, le PIB par habitant a été multiplié par 24 en passant de 430 à 10 358 dollars (1). La consommation d’énergie, quant à elle, a été multipliée par 5,8 sur la même période, partant de 602 millions de tonnes d’équivalent pétrole en 1980 pour atteindre 3,499 milliards en 2020. Les énergies fossiles ont été, et sont toujours, fortement sollicitées pour obtenir de tels niveaux de production. Ainsi, en 2000, le charbon représentait 61,3 % du mix énergétique chinois, le pétrole 28,6 % et le gaz 2,7 %. En 2019, ces proportions étaient respectivement de 55,8 %, 19,7 % et 7,5 %. Une telle addiction aux combustibles fossiles a engendré une forte pollution de l’air (oxydes d’azote, dioxyde de soufre, monoxyde de carbone, métaux lourds…) et une explosion des émissions de CO2 dont le volume est passé de 789 millions de tonnes en 1971 à 1,378 milliard en 1980, puis 2,122 milliards en 1990 pour atteindre 10,081 milliards en 2020 (2).

Tout cela a entraîné une détérioration de la qualité de l’air et donc un important mécontentement au sein de la population en même temps qu’une prise de conscience par les autorités de la dangerosité du changement climatique tant sur le plan environnemental que politique. En effet, le caractère fortement carboné du mix énergétique chinois relie étroitement pollution de l’air et changement climatique.

Le premier phénomène — la détérioration de la qualité de l’air — est résumé par un néologisme, « airpocalypse », apparu dans les années 2000 pour désigner les niveaux de pollution record constatés notamment dans les grandes villes. Une étude publiée en 2021 sur le site de la revue Environmental Research estime à 3,9 millions le nombre de décès prématurés dus à la seule pollution par les PM2,5 (microparticules d’un diamètre de 2,5 microns) rejetées à l’occasion de la combustion d’énergies fossiles (3). La pollution de l’air engendre une forte insatisfaction sociale qui risque, à terme, d’éroder la légitimité du parti communiste. Ainsi, en 2005, sur 87 000 « incidents de masse » recensés, 51 000 (58 %) étaient liés à des problèmes de pollution. Même si leur nombre n’est plus publié officiellement depuis 2010, on estime qu’il y en aurait 150 000 par an, certaines sources avançant même le chiffre de 180 000 (4). Au-delà de ce phénomène de réprobation, le gouvernement chinois prend également progressivement conscience des risques que fait peser l’élévation des températures sur le pays : mise en danger des villes côtières (Shanghai, Hong Kong…), accroissement du nombre de phénomènes météorologiques extrêmes, multiplication et aggravation des sécheresses (alors que le pays souffre déjà d’un stress hydrique) et des inondations, désertification (dans un pays qui doit nourrir près de 20 % de la population du globe avec seulement 7 % des ressources mondiales de terres arables)…, sans parler des écoles fermées et de la limitation des activités extérieures.

À propos de l'auteur

Jean-Paul Maréchal

Maître de conférences en science économique et directeur adjoint de l’IDEST (Institut du droit de l’espace et des télécommunications) à l’Université Paris-Saclay, membre du comité de rédaction de Vortex (Centre d’études stratégiques aérospatiales, armée de l’air et de l’espace). Il a coordonné La Chine face au mur de l’environnement ? (CNRS éditions, 2017).

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