La deuxième raison du changement d’attitude de Pékin à l’égard du réchauffement climatique réside probablement dans la prise de conscience des fantastiques potentialités en termes de contribution à la croissance économique du pays (notamment d’exportations) et de vecteur d’influence internationale des technologies « bas carbone ». Et c’est ainsi qu’en l’espace de deux décennies — en recourant à des plans publics de soutien massif (Made in China 2025…) — la Chine est devenue le premier producteur, utilisateur et exportateur de panneaux solaires (Suntech Power), d’éoliennes (Goldwind), de voitures électriques (BYD, Geely, SAIC), tout équipement qui lui permet de s’implanter dans certains pays clients.
Cela n’est pas sans lien avec la troisième raison : utiliser la question climatique pour améliorer (ou ralentir) la dégradation d’une image internationale détériorée par le durcissement du régime par la prise de contrôle de Hong Kong, l’internement des Ouïghours, le « crédit social », les déclarations bellicistes à l’égard de Taïwan, la solidarité à l’égard de Moscou…
Ces éléments, qui ressortissent tant de considérations de politique intérieure que de politique internationale, se sont notamment traduits par un rôle actif dans la préparation de la COP21 en 2015 et par des engagements dans l’accord de Paris. Pékin s’y est notamment engagé à plafonner ses émissions de CO2 autour de 2030 et de faire son possible pour y parvenir avant, de réduire ses émissions de CO2 par unité de PIB (son intensité carbone) de 60 à 65 % d’ici 2030 par rapport au niveau de 2005, d’accroître la part des énergies non fossiles dans la consommation d’énergies primaires à environ 20 %.
De tels objectifs sont en réalité atteignables sans remise en cause insurmontable du modèle de croissance chinois en raison du ralentissement de la croissance économique (3 % en 2002) (5), de la tertiarisation de l’économie (la part des services dans le PIB est passée de 40 à 53 % entre 2008 et 2018) et de l’amélioration de l’intensité énergétique (donc de l’intensité carbone) qui résulte mécaniquement du progrès technique. On notera d’ailleurs que depuis, lors des COP26 et 27, la Chine n’a proposé que des relèvements extrêmement marginaux de ses objectifs initiaux. Seule nouveauté, l’annonce en septembre 2020 de parvenir à la neutralité carbone en 2060. Pékin marque donc le pas en matière d’engagements climatiques. Cette situation résulte de la difficulté à réduire l’usage du charbon aussi vite qu’initialement prévu.
Les responsables chinois sont en effet confrontés à deux objectifs contradictoires (du moins à court terme) : respecter leurs engagements internationaux et assurer la sécurité énergétique du pays, et notamment éviter que ne se reproduisent les coupures d’électricité de l’été 2021. D’où la déclaration en mars 2022 de Xi Jinping : « Il faut poursuivre activement mais prudemment le travail concernant l’atteinte du pic d’émission de carbone […] tout en tenant compte du fait que la Chine est riche en charbon, pauvre en pétrole et dénuée de gaz naturel (6). » Une position reprise sans changement dans son discours de clôture du 20e Congrès le 16 octobre 2022 : « Le charbon sera utilisé d’une façon plus propre et efficace et des efforts plus importants seront réalisés dans l’exploration et le développement du pétrole et du gaz naturel et pour découvrir plus de réserves inexploitées et pour augmenter la production (7). » Entretemps, le 24 août 2022, l’administration nationale de l’énergie chinoise aura reconnu que sa « principale mission » était d’« assurer la fourniture de charbon » en autorisant l’ouverture de nouvelles mines et en garantissant la stabilité des importations (8).
Presque dix après l’accord de Paris, et malgré des engagements peu contraignants, la « voie chinoise » en matière climatique semble bien tortueuse.
Notes
(1) Chiffres en dollars constants de 2015 : La Banque mondiale, « PIB par habitant (unités de devises locales constantes) – China », consulté le 12 juillet 2023 (https://rb.gy/r9hzj).
(2) BP, « Statistical Review of World Energy », 2002 et 2023, consulté le 15 juillet 2023 (https://rb.gy/1iy8v). IEA, « CO2 Emissions From Fuel Combustion », 10 septembre 2019, p. 6 et 33 (https://rb.gy/ow664). IEA, « China : Key energy statistics, 2020 », consulté le 15 juillet 2023 (https://rb.gy/uv4vd).
(3) Karn Vohra, Alina Vodonos, Joel Schwartz, Eloise A. Marais, Melissa P. Sulprisio, Loretta J. Mickley, « Global mortality from outdoor fine particle pollution generated by fossil fuel combustion : Results from GEOS-Chem », Environmental Research, vol. 195, avril 2021 (https://doi.org/10.1016/j.envres.2021.110754).
(4) François Godement, Que veut la Chine ?, Odile Jacob, 2012, p. 74.
(5) Marc Julienne, « Xi Jinping : les défis du troisième mandat », Les Grands Dossiers de Diplomatie, n°73, « Géopolitique de la Chine », avril-mai 2023, p. 10 (https://rb.gy/ujbb7).
(6) Frédéric Lemaître, « Charbon : la Chine fait tourner ses centrales au maximum », Le Monde, 31 août 2022, p. 14 (https://rb.gy/znfj8).
(7) Xi Jinping, « Hold High the Great Banner of Socialism with Chinese Characteristics and Strive in Unity to Build a Modern Socialist Country in All Respects. Report to the 20th National Congress of the Communist Party of China », 16 octobre 2022, p. 45 (https://rb.gy/uw472).
(8) Jean-Paul Maréchal, « La COP27 ou le climat au défi du clivage Nord/Sud », Choiseul Magazine, 25 janvier 2023 (https://rb.gy/a8ybj).
Légende de la photo en première page : Les autorités chinoises ont fini par prendre la mesure des risques et de l’exaspération populaire liés à la pollution de l’air dans le pays, et Pékin s’est engagé dans une politique volontariste de réduction de ses émissions polluantes dans l’atmosphère. Selon une étude de la NASA de mai 2023, de nets progrès auraient été réalisés par la Chine en matière de réduction de la pollution atmosphérique au cours de la dernière décennie, avec des taux de particules fines passant de 55 microgrammes par m3 en 2013 à 30,6 en 2022 (le niveau maximum conseillé par l’OMS étant de 5 microgrammes/m3). (© Xinhua)