Au cours des cinquante dernières années, le Yémen a connu une explosion urbaine alimentée par l’exode rural, mais aussi par des vagues de retour d’émigrés expulsés d’abord d’Éthiopie et d’Asie du Sud-Est, puis des monarchies de la péninsule Arabique. Avec quelque 2,5 millions d’âmes, Sanaa est devenue une métropole immense dont seule une minorité des habitants y est établie depuis plus d’une ou deux générations. Le hammam assure une fonction intégratrice des néocitadins. C’est particulièrement vrai pour les femmes. Pour beaucoup d’entre elles, la vie sociale se déroule pour l’essentiel au niveau du quartier. Lors des mariages, la veille des fêtes ou avant les réunions de l’après-midi, elles se retrouvent au hammam. Là, elles adoptent les codes et apprennent le savoir-faire du hammam. Puis elles initient leurs enfants ou les parentes et amies venues des provinces en visite à Sanaa.
Parallèlement, on a assisté à une patrimonialisation des établissements et des pratiques au cours des vingt dernières années. Tous les hammams de la vieille ville ont été intégrés dans la liste des bâtiments historiques à conserver. Certains ont même fait l’objet de travaux de restauration, avant les événements tragiques qui ne cessent de s’abattre sur le pays depuis la révolution de 2011. Dans les médias yéménites, reportages télévisés et articles de presse continuent de présenter les hammams et les pratiques balnéaires comme un héritage historique à préserver. De nos jours, nombreux sont les Sanaanéens à fréquenter régulièrement les bains : ils espèrent y retrouver un peu de quiétude et de bien-être dont la guerre et les difficultés du quotidien les privent tant.
Légende de la photo en première page : Ce groupe d’amis est allé au hammam avant de se réunir, discuter et partager des feuilles de qat, connu pour son effet stimulant et euphorisant. © Nabil Boutros
* Les photographies, de Nabil Boutros, ont été prises avant la révolution de 2011