C’est là une singularité au Moyen-Orient. En Égypte et au Liban, les hammams ont quasi disparu ; en Syrie et en Turquie, les pratiques balnéaires sont marginales et relèvent d’un folklore passé. Il en va autrement au Yémen, en particulier à Sanaa. Non seulement les 17 bains anciens de la vieille ville, celle d’avant 1970, sont tous en activité en 2022, mais, en outre, depuis 1981, une vingtaine de nouveaux établissements ont été construits dans les extensions récentes de la capitale. Malgré la guerre en cours depuis 2015 et les difficultés auxquelles sont confrontés les habitants, malgré l’épuisement des ressources en eau et les prix vertigineux du gazole utilisé comme combustible, les hammams ne désemplissent pas.
Le Yémen compte une centaine de hammams. Un tiers d’entre eux sont situés à Sanaa, les autres sont répartis entre les différentes villes des hauts plateaux, ce qui correspond aux régions chiites zaïdites. Ailleurs, les établissements ont pratiquement tous disparu. L’existence de hammams au Yémen n’est attestée qu’à partir du IXe siècle. Ni les fouilles archéologiques ni les sources écrites n’ont révélé de quelconques aménagements de bains publics dans les royaumes antiques du pays. Le hammam yéménite, pour partie édifié au-dessous du niveau du sol, est un bâtiment qui n’attire guère le regard. Rien ne le distingue, si ce n’est, à côté d’une étroite porte d’entrée, l’affichage des jours d’ouverture ou de modestes coupoles sur le toit.
Tous les hammams suivent une même typologie. Ils se composent de trois parties qui se succèdent selon un plan linéaire. Une première partie fraîche est constituée par un agencement variable de plusieurs pièces. Elle est suivie d’un espace tiède et d’un autre chaud qui répondent à une division tripartite. Dans ce dernier règne une chaleur forte et sèche qu’atténue un peu de vapeur provoquée par l’évaporation d’eau répandue sur le sol.
Ces hammams ont été édifiés à l’initiative d’hommes du pouvoir, imams, sultans ou notables, puis établis en fondation pieuse (waqf) au bénéfice de mosquées. Quant aux nouveaux, ils ont été construits par des entrepreneurs privés. Un certain nombre sont de véritables complexes balnéaires, des établissements doubles auxquels s’ajoute parfois une piscine ou un sauna.
Un apaisant parcours balnéaire
Un accès discret par une porte sans charme, une descente d’une dizaine de marches par un couloir coudé, nous voilà à l’entrée du vestiaire. Le baigneur ne saurait fouler les nattes qui recouvrent le sol sans avoir quitté ses chaussures. Il ajustera le pagne de bain tout en retirant un à un ses vêtements et en ayant pris soin de maintenir à l’abri des regards d’autrui la partie intime de son corps, de la taille au genou.
Puis il se rendra dans la partie chaude, dans la salle du milieu pour la première étape, la plus décisive du parcours balnéaire, c’est-à-dire l’échauffement du corps. Le baigneur va s’allonger tantôt sur le dos, tantôt sur le ventre, sur des dalles de basalte noir, chauffées par des galeries souterraines, tels les hypocaustes dans les bains romains. Au bout d’un quart d’heure, la sueur se met à perler. Le corps ruisselant de transpiration, la chaleur devenue étouffante, il est temps de passer dans un lieu plus tempéré, dans l’une des pièces de la partie médiane (awsat). C’est le moment de se faire frictionner au gant, lentement, méthodiquement, une partie du corps après l’autre, par un des garçons de bain, afin de faire peau neuve. Puis suivent savonnage et shampouinage, entrecoupés d’abondants rinçages avec l’eau tiède puisée dans l’une des vasques de la pièce.