Magazine Moyen-Orient

Algérie : fantasmes et réalité de la présence chinoise

Quelles perspectives ?

La stratégie chinoise en Algérie peut laisser penser qu’elle se limite à l’intérêt porté aux grands projets de construction et d’équipement, se contentant de jouer un rôle de prestataire de services. Mais on peut s’interroger sur la vision globale de la Chine. L’organisation de forums de coopération (sino-africaine depuis 2000 et sino-arabe depuis 2004) n’empêche pas de dire que le pragmatisme chinois est d’abord centré sur les relations bilatérales. Chaque pays des nouvelles routes de la soie est ciblé en fonction de ses potentiels actuels ou futurs.

Pourtant, des questions demeurent. Le bilatéralisme qui caractérise la politique chinoise ne peut faire l’impasse sur l’asymétrie des échanges entre les deux pays. Pour l’année 2019, le déficit de la balance commerciale avec la Chine s’élève à 6 milliards de dollars. Sur le plan politique, les autorités chinoises, en mettant en avant des principes tels que la neutralité, la non-ingérence dans les affaires intérieures et les relations « gagnant-gagnant », séduisent les dirigeants algériens et apparaissent comme une alternative aux puissances occidentales. Mais cette neutralité chinoise est parfois ambivalente, notamment en ce qui concerne le Maroc et Israël, montrant la fragilité d’une telle position.

Par ailleurs, alors que l’intégration de l’Algérie aux nouvelles routes de la soie s’est limitée aux grands programmes d’infrastructures, la réalisation du mégaport d’El-Hamdania ferait de l’Algérie une place importante de l’acheminement et de la redistribution des produits chinois à l’échelle de la Méditerranée. Avec ce hub maritime, l’hypothèse de nouvelles perspectives de pénétration durables dans l’économie algérienne prend de la consistance.

La perception de la Chine par les Algériens a également évolué. Le regard exotique porté sur une population que l’on découvre tend à être dépassé, et l’efficacité des entreprises chinoises est maintenant reconnue. Mais les échanges culturels sont inexistants.

Par ailleurs, l’échec relatif de l’implantation individuelle des commerçants chinois laisse entrevoir une nouvelle génération d’investisseurs privés, qui, comme sous-traitants accompagnant les grands groupes, trouvent leur place dans un pays où les perspectives économiques sont encore fortes. La pandémie de Covid-19 et la crise mondiale qui s’est ensuivie, les redéploiements géopolitiques et économiques liés à la mondialisation et aux tensions qu’elle génère ouvrent une nouvelle étape de la pénétration chinoise en Algérie.

Notes

(1) Yahia H. Zoubir, « Les relations de la Chine avec les pays du Maghreb : la place prépondérante de l’Algérie », in Confluences Méditerranée, no 109, 2019, p. 91-103 ; Farida Souiah, « L’Algérie made by China », in Revue géographique des pays méditerranéens, no 116, 2011, p. 139-143.

(2) Hicham Rouibah, « Les entreprises chinoises du BTP en Algérie : fonctionnement, main-d’œuvre locale et conflits », in Monde chinois, vol. 58, no 2, 2019, p. 136-154.

(3) Saïd Belguidoum et Olivier Pliez, « La géographie discrète des réseaux transnationaux entre l’Algérie et la Chine », in Confluences Méditerranée, no 109, 2019, p. 63-76.

(4) Jean-Pierre Taing, « L’immigration chinoise à Alger : l’émergence d’une place marchande à Bab Ezzouar ? », in Les Cahiers d’EMAM, no 26, 2015, p. 141-150.

Légende de la photo en première page : La société chinoise de construction CSCEC présente un projet routier pour décongestionner Alger, durant un salon professionnel organisé dans la capitale algérienne en septembre 2022. © Xinhua

Article paru dans la revue Moyen-Orient n°58, « Chine : puissance du Moyen-Orient ? », Avril-Juin 2023.
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