Magazine Moyen-Orient

Algérie : fantasmes et réalité de la présence chinoise

Mais l’importation massive de produits chinois n’est que peu le fait des commerçants chinois. Ce sont essentiellement les importateurs algériens qui ont développé un commerce transnational discret permettant d’inonder le marché algérien (3). Depuis le début des années 2000, des commerçants de l’est algérien ont établi un système de relations les reliant aux principales places chinoises de ces produits de grande consommation (Yiwu, Guangzhou, Shenzhen). Ce sont plusieurs centaines de commerçants algériens qui sont installés dans ces différentes villes chinoises et assurent la mise en relation des places marchandes algériennes avec les fournisseurs des cœurs commerciaux et industriels chinois. Cette circulation à partir de réseaux transnationaux discrets entre l’Algérie et la Chine, emblématiques de la mondialisation par le bas, a permis de tisser des liens économiques et sociaux entre des acteurs « du bas » (commerçants, entrepreneurs, traducteurs…), en dehors des cadres institutionnels.

C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre l’installation en Algérie de commerçants chinois, se spécialisant dans l’importation et la distribution de produits essentiellement textiles. Cette installation, timide et modeste, se fait dans un contexte à la fois concurrentiel avec les réseaux algériens et contraignant du fait d’une réglementation stricte concernant les étrangers. Les Chinois vont se spécialiser dans des créneaux que les importateurs algériens n’ont pas totalement investis : linge de maison, maroquinerie, vêtements d’enfants… Entre 2008 et 2020, le nombre de commerces reste stable : autour de 470, avec une pointe de 492 en 2010. Près de la moitié sont installés à Alger, et 75 % sont concentrés dans cinq wilayas (Alger, Bejaïa, Constantine, Oran, Annaba).

Cette implantation individuelle des Chinois, concentrée dans l’Algérois, remonte au début des années 2000. L’apparition des premières boutiques à enseigne chinoise donnera une visibilité soudaine à cette présence modeste. Les Chinois d’Alger viennent des provinces du Fujian et du Zhejiang, deux des foyers importants d’émigration (4). L’Algérie constitue leur première expérience migratoire, même si certains ont connu l’Afrique de l’Ouest avant. Progressivement, à la suite des pionniers, une logique de regroupement fondée sur des réseaux familiaux et amicaux s’est développée. Par ailleurs, peu de passerelles existent entre ces commerçants et les ouvriers des chantiers.

Il y a donc une double présence, parallèle et distincte (les ouvriers des chantiers et les commerçants), disproportionnée et mue par des logiques différentes : une migration de main-d’œuvre venue dans un cadre collectif et une migration individuelle de petits entrepreneurs.

Les importants chantiers de construction d’infrastructures, de programmes d’habitat et d’équipements obtenus par les groupes chinois (mondialisation « par le haut ») et les quelques boutiques tenues par des commerçants chinois (souvent sans enseigne visible) sont les deux marqueurs de cette présence qui vont générer au sein de la population algérienne des sentiments ambivalents, alternant entre admiration (l’efficacité des entreprises chinoises), curiosité et méfiance (modes de vie) et alimentant rumeurs et légendes urbaines. La Chine suscite de nombreux fantasmes dans une société où le rapport à l’autre a longtemps été façonné par les relations avec le monde occidental. Les réactions les plus révélatrices face à cette découverte de l’altérité se traduisent par la prolifération de mythes et légendes urbaines à l’encontre du « Chinois », combinant stéréotypes et discours xénophobes. Les croyances les plus ancrées concernent les conversions supposées à l’islam de ressortissants chinois (en ignorant qu’il existe des musulmans en Chine), les mariages avec des Algériennes qui se multiplieraient (dans un pays où les libertés de la femme sont contraintes) et le fait que la main-d’œuvre des chantiers serait constituée de prisonniers de droit commun. Alors que les ouvriers vivent aux marges des villes et n’ont donc pas ou peu de contacts directs avec la population locale, pour les commerçants, les relations restent limitées aux stricts rapports professionnels.

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