Fin octobre 2023 s’est ouvert à Malte une 3e session de pourparlers soutenus par l’Ukraine et rassemblant une cinquantaine de pays, pour mettre un terme à l’invasion russe. À quoi sert ce type de rencontres ?
I. Delanoë : L’objectif de cette session de pourparlers à Malte est de progresser sur la formule de paix promue par Kyiv et élaborée par les Ukrainiens en novembre 2022. Depuis un an, cette formule de paix a été repensée, retravaillée et a évolué, mais l’objectif reste le même : construire le socle de tout arrangement futur en vue de mettre fin aux combats. L’objectif est pluriel puisqu’il s’agit également de convaincre les pays dits du « Sud global » (Amérique latine, Afrique et Asie) d’adhérer à ce futur énoncé en les invitant à la discussion.
Cette réunion de Malte est le troisième grand rendez-vous de cette nature. Le premier s’est tenu secrètement à Copenhague en juin 2023 avant d’être officiellement admis a posteriori par la cinquantaine de pays qui y ont discuté de cette formule de paix. La deuxième réunion a eu lieu début août à Djeddah, en Arabie saoudite, où la Chine avait marqué les esprits par sa présence. Moins de pays se sont rendus à Malte : la Chine, les Émirats arabes unis, l’Égypte entre autres se sont détournés de cette réunion et n’y ont pas envoyé de représentant. Ces pourparlers se déroulent évidemment sans la Russie, car l’idée sous-jacente est de créer le cadre de discussions qui sera imposé à Moscou par la suite.
En l’état actuel de la situation entre l’Ukraine et la Russie, une paix est-elle possible à court ou moyen terme ?
Aucune paix ne semble possible à court et moyen terme. Une trêve au moment de Noël de vingt-quatre à quarante-huit heures serait déjà en soi une grande avancée. L’étape supérieure, celle d’un cessez-le-feu, et donc d’une période sans affrontements plus durable, suppose qu’il y ait un compromis et une volonté commune d’en finir avec les combats. Or, ces conditions n’existent à ce jour ni du côté russe, ni du côté ukrainien. Rappelons que le président Volodymyr Zelensky a signé un décret en septembre 2022 interdisant toute négociation avec la Russie tant que Vladimir Poutine occupe les fonctions de président. En outre, l’objectif militaire déclaré par les Ukrainiens est celui de revenir aux frontières de 1991.
Côté russe, on affirme rester ouvert aux discussions de paix, bien qu’en réalité celles-ci consistent à imposer une capitulation à Kyiv. D’autre part, il est peu probable que la Russie soit disposée à négocier sérieusement une cessation des hostilités avant les élections états-uniennes de novembre 2024, dont elle estime que le résultat pèsera sur l’issue négociée du conflit. Enfin, les Russes sont convaincus que Volodymyr Zelensky ne décide de rien depuis l’échec des discussions d’Istanbul en mars 2022. Pour le Kremlin, c’est avec les Américains que ça se réglera, et les Européens s’aligneront. C’est d’ailleurs certainement une faiblesse de leur raisonnement de croire que Washington sera en mesure d’imposer facilement sa formule à Bruxelles pour le règlement du conflit. Les choses seront probablement plus compliquées.
Par conséquent, la situation reste bloquée et les deux belligérants s’en remettent au sort des armes. La Russie considère que le temps ne joue pas en faveur de l’Ukraine mais plutôt en la sienne. Les Ukrainiens continuent de miser sur le soutien financier, budgétaire, humanitaire et militaire occidental, et principalement américain. L’aide américaine reste, à ce propos, suspendue au vote du budget 2024 par le Congrès dans les semaines à venir.
Quels événements marquants pourraient faire basculer le rapport de force sur le champ de bataille ou changer le cours du conflit ?
Plusieurs types d’événements pourraient influer sur l’avenir du conflit. Premièrement, il existe la possibilité d’un effondrement d’un des deux belligérants sur le champ de bataille, et donc l’apparition d’une supériorité nette de l’autre, bien que, dans l’immédiat, cet événement paraisse peu probable. Au contraire, une forme de parité semble être atteinte et on constate un basculement vers un conflit d’attrition.
Pendant longtemps, il y a eu en Occident une tendance à croire que les livraisons d’armes à l’Ukraine et la technologie allaient créer un rapport de force favorable aux Ukrainiens sur le champ de bataille. C’était le cas avec les drones Bayraktar TB2 turcs au début du conflit, ça a aussi été le cas avec les tanks qui devaient permettre aux Ukrainiens de réussir leur contre-offensive à l’été 2023, puis avec les missiles air-sol censés désorganiser considérablement l’arrière du dispositif russe. Rien de tout cela n’a en réalité vraiment fonctionné. Certains continuent aujourd’hui de fantasmer sur l’arrivée des F-16, mais leur apparition en 2024 ne devrait pas non plus changer le cours du conflit.