Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

L’industrie française peut-elle renaître ?

Quel avenir pour l’industrie ?

L’industrie est redevenue centrale dans le débat public et il faut se réjouir de cette dynamique. Après plusieurs années de désindustrialisation, des indicateurs poussent à l’optimisme avec un solde positif de création d’usines selon les données de Trendeo (7) et d’emplois industriels, ainsi qu’un léger rebond du poids de l’industrie dans le PIB en 2022. Toutefois, d’autres indicateurs montrent la fragilité de cette dynamique, comme la balance commerciale largement déficitaire ou l’indice de production industrielle qui peine à revenir à son niveau d’avant 2008 (8).

Le gouvernement a annoncé des objectifs de créations d’emplois dans le cadre des annonces autour de France 2030 et de la loi industrie verte, mais le renforcement de l’industrie en France pose aussi la question des équilibres productifs entre les pays européens. Il est également possible de regretter qu’il n’y ait pas d’objectifs globaux plus clairs comme le poids de l’industrie dans le PIB visé en 2030 ou celui de l’évolution du nombre d’emplois industriels ou encore l’évolution de notre balance commerciale.

Enfin, dans les différentes annonces, il y a quelques éléments qui manquent pour ancrer durablement la renaissance industrielle dans les esprits. Le premier est le manque de vision autour du rôle que l’industrie doit tenir dans notre société et l’absence de réponse claire à la société que nous souhaitons bâtir. Ce sujet est clé car il conditionne nos choix industriels actuels et futurs. Le deuxième manquement est la place trop timide donnée à l’économie circulaire et à l’évolution des modèles économiques. Or, ces questions vont avoir un impact sur les volumes produits et donc sur les équilibres économiques des entreprises et les choix industriels à opérer en termes d’investissements. Le troisième manquement porte sur la vision en écosystème. Le débat sur la renaissance industrielle tourne beaucoup autour des usines alors qu’il y a tout un écosystème à penser autour. Pour produire, il faut une infrastructure énergétique capable de répondre à l’évolution des besoins, notamment dans le contexte d’une électrification des procédés, des infrastructures de transport, une amélioration de l’attractivité des usines avec une capacité à répondre aux besoins des familles (logement, formation, offre culturelle, etc.), une capacité à développer en France les innovations de demain, etc. Il est impossible de décorréler la renaissance industrielle de la politique d’aménagement du territoire. Enfin, la sobriété et la frugalité sont très peu abordées dans les éléments de langage du gouvernement, alors qu’on sait qu’elles sont des éléments essentiels de la réflexion sur la renaissance industrielle au regard des limites de notre planète.

En conclusion, la France entend renouer avec son industrie après plusieurs années de désindustrialisation, mais tout reste à construire. Il lui faudra assumer également certains rapports de force au sein de l’Union européenne où va se poser rapidement la question des équilibres industriels entre les États membres, surtout dans une tendance à la régionalisation des échanges. Ils se posent également à l’échelle internationale où de nombreux pays souhaitent renforcer leur base industrielle, en premier lieu les États-Unis. Ainsi, pour faire de la renaissance industrielle un mouvement pérenne, la France doit impérativement clarifier le projet de société au service duquel elle met l’industrie.

La France industrielle, entre déclin et recompositions

Notes

(1) OCDE, Valeur ajoutée par activité, 2023.

(2) Ces chiffres ne sont pas retraités des importations d’énergie liées à la crise énergétique qui a touché négativement tous les pays européens. Toutefois, même avec un retraitement, la balance commerciale française est largement la plus déficitaire de l’Union européenne.

(3) France 2030, « Lancement du dispositif « Rebond Industriel » pour accompagner les territoires confrontés aux mutations de la filière automobile », Communiqué de presse, 1er août 2022.

(4) Le rachat avait été bloqué par Bercy et l’entreprise a finalement été rachetée par le groupe d’investissement européen HLD. Depuis, l’entreprise s’est développée en attaquant de nouveaux marchés et en se diversifiant.

(5) F. Bost, « Les relocalisations industrielles en France : épiphénomène ou tendance de fond ? », Bulletin de l’association de géographes français, 92-4, 2015, p. 480-494.

(6) Il s’agit du coût global d’un bien ou d’un service tout au long de son cycle de vie. Cette méthode permet de prendre en compte les coûts directs et les coûts indirects.

(7) G. Normand, « Créations d’usines et relocalisations : la France n’est pas encore sur la route de la réindustrialisation, note Trendeo », La Tribune, 2 mars 2023.

(8) Production dans l’industrie — données mensuelles, Eurostat, 2023.

Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°75, « Géopolitique de la France », Août-Septembre 2023.
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