La « sécurité environnementale » englobe l’ensemble des facteurs contribuant à la crise inédite que nous vivons. Une crise environnementale au caractère dual, entre changement climatique et perte de la biodiversité, face à laquelle les États, en s’appuyant sur leurs armées, cherchent à anticiper les menaces et minimiser les impacts.
La perturbation de l’environnement est à la fois une cause et un effet de tension politique et de conflits militaires » (1), peut-on lire dans le fameux rapport de la Commission mondiale de l’environnement et du développement, « Notre avenir à tous », plus communément appelé « rapport Brundtland » (1987). Pour la première fois, un lien de causalité est officiellement établi entre dégradation environnementale et insécurité ; la notion de « sécurité environnementale » est née.
La sécurité étatique aux contours mouvants
Si le concept de « sécurité environnementale » s’est affirmé dans les plus grands cénacles, des Nations Unies à l’OTAN en passant par le Fonds pour l’environnement mondial (FEM), il n’a paradoxalement fait l’objet d’aucune définition consensuelle. On lui associe d’ailleurs quantité d’expressions entendues comme synonymes : « sécurité écologique », « sécurité climatique », « sécurité de l’environnement », etc. Ses multiples acceptions comprennent cependant cinq grandes déclinaisons :
• les impacts négatifs des activités humaines (lato sensu) sur l’environnement ;
• les impacts négatifs du complexe militaro-industriel — guerre incluse — sur l’environnement (et les moyens de pallier ces derniers) ;
• la crise environnementale comme défi sécuritaire commun à tous les États et nécessitant par conséquent une action collective (événements météorologiques extrêmes, épuisement des ressources naturelles, etc.) ;
• la crise environnementale comme menace à la sécurité nationale ;
• la crise environnementale comme potentielle cause de conflit violent intra ou interétatique.
Cette notion protéiforme trouve ainsi un écho dans la perception du changement climatique comme « multiplicateur de menaces », qui s’est largement répandue depuis sa formulation initiale par Ban Ki-moon en 2009 (2). Dans le champ des études stratégiques françaises, une dichotomie a été dégagée par Nicolas Regaud dans l’introduction de La Guerre chaude (3). En vertu de celle-ci, une équivalence est faite entre « sécurité environnementale » et « défense verte », à savoir la contribution des armées aux efforts d’atténuation (deuxième grande déclinaison du concept). Nicolas Regaud privilégie donc l’expression « sécurité climatique » pour désigner plus spécifiquement le potentiel de déstabilisation sécuritaire induit par le changement climatique en tant que « multiplicateur de risques et menaces » (accent mis sur les trois dernières déclinaisons citées plus haut).
Toutefois, l’appréhension restrictive du concept de « sécurité environnementale » et sa quasi-substitution par le vocable « sécurité climatique » pose question dans la mesure où elle réduit la crise environnementale au changement climatique, qui n’en constitue pourtant qu’une facette. L’adjectif « climatique » contribue de fait à occulter tout un pan de la problématique environnementale et des défis stratégiques sous-jacents. Cet écueil a d’ailleurs longtemps conduit la communauté internationale à négliger d’autres enjeux, comme la préservation de l’océan et la biodiversité.
La montée en puissance du paradigme de sécurité environnementale dans les doctrines militaires
Dès 1991, la doctrine militaire des États-Unis identifie le changement climatique comme un game changer stratégique. Si la National security strategy adoptée sous George H. W. Bush est essentiellement connue pour avoir développé le concept de « nouvel ordre mondial », elle compte en effet l’environnement parmi les nouvelles menaces pour la paix et la sécurité et appelle à « trouver des solutions internationales coopératives aux principaux défis environnementaux, en assurant la durabilité et la sécurité environnementale de la planète » (4). Les États-Unis deviennent ainsi les pionniers de la réflexion sur les risques géopolitiques induits par le changement climatique. Au sortir de la guerre froide, des études prospectives financées par le Département de la Défense (DoD) ou réalisées par des académies militaires déterminent les facteurs susceptibles de remettre en question le leadership états-unien. Émerge alors le concept de « green defense » (défense verte), à savoir la recherche de matériaux militaires plus durables, le contrôle des émissions carbone, l’optimisation de la consommation énergétique et la prévention de la dégradation de l’environnement par les opérations militaires.
Les années 2000, a fortiori 2010, marquent la montée en puissance du volet plus opérationnel de la sécurité environnementale. En témoigne l’intervention du ministre français des Affaires étrangères lors de la réunion ministérielle de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) à Helsinki, le 4 décembre 2008, qui déclare au nom de l’Union européenne : « Nous sommes convaincus que la sécurité environnementale est, d’ores et déjà, une composante à part entière de la sécurité des États. »