Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Le maintien de la sécurité environnementale : quel rôle pour les armées ?

Publié le 11 mai dernier, le « Profil national des risques » indique de surcroît que le deuxième plus grand pays du monde pourrait faire face à la catastrophe naturelle la plus coûteuse de son histoire en cas de séisme en Colombie-Britannique, province exposée à un risque de tremblement de terre pouvant atteindre une magnitude de 9,0 (soit la même magnitude que celui à l’origine de l’accident nucléaire de Fukushima en 2011). Ce rapport alerte sur les lacunes majeures dans les plans d’intervention du Canada en cas de tremblement de terre, et plus largement en cas de catastrophe naturelle.

Néanmoins, le Canada est loin de faire exception. En France, les armées sont d’ores et déjà concernées opérationnellement par des missions de protection de la population suite à des catastrophes survenant sur le territoire national. Elles le font en protection et en appui des forces de sécurité intérieure et civile, suivant la règle des « 4 i », à savoir quand « les moyens dont dispose l’autorité civile sont estimés inexistants, insuffisants, inadaptés ou indisponibles » (7). Il y a à cet égard un certain nombre d’unités spécialement entraînées à la réaction à des catastrophes écologiques de tout type : la brigade des sapeurs-pompiers de Paris ; le bataillon de marins-pompiers de Marseille ; trois UIISC (Unités d’instruction et d’intervention de la sécurité civile), respectivement situées à Corte, Brignoles et Nogent-le-Rotrou ; un régiment NRBC à même d’évoluer dans un milieu nucléaire, radiologique, biologique et chimique, en l’occurrence le 2e régiment de dragons.

Chaque région militaire ou zone de défense française est associée à une cartographie de tous les sites sensibles (avec un plan d’intervention lié à chacun d’entre eux) et, depuis 1984, l’opération « Héphaïstos » est conduite annuellement pour lutter contre les feux de forêt sur le territoire.

Les enjeux de sécurité environnementale vont‑ils bouleverser le secteur de la défense ?

Le changement climatique affecte doublement les missions postcatastrophes, d’une part en aggravant des conditions météorologiques déjà extrêmes. Entre 1987 et 2006, sept exercices CAPOPS (capacités opérationnelles) ont été menés à Djibouti et en Guyane afin d’évaluer les conditions d’emploi des forces sous menace NRBC en milieu extrême. Au terme de ces expériences, l’état-major des armées a souligné que la capacité opérationnelle des forces armées se trouve « considérablement diminuée voire irrémédiablement détériorée dans les conditions exceptionnelles rencontrées sous ces latitudes » (8). Les enjeux de l’adaptation des forces armées sont donc immenses dans ces zones particulièrement concernées par le réchauffement planétaire.

D’autre part, en influant sur la fréquence et l’intensité des catastrophes naturelles, le changement climatique risque de mobiliser davantage les armées dans des usages non-combattants. À cet égard, les événements météorologiques extrêmes augmentent fortement le risque de catastrophe NRBC, les premiers pouvant entraîner les secondes en cas de dommages sur les infrastructures — comme ce fut le cas à Fukushima. Dans un contexte environnemental en proie à une instabilité croissante, les effectifs et les moyens mis à disposition du génie ou du 2e régiment de dragons en charge de la réponse NRBC seront donc potentiellement amenés à être renforcés.

Dès 1987, le rapport Brundtland préconisait une approche globale de la sécurité internationale et nationale pour notamment « transcender l’accent traditionnellement mis sur la puissance militaire et la compétition armée » (9). Des initiatives illustrent cette dynamique, à l’instar du CJEF (Combined joint expeditionary force), une force armée franco-britannique fondée en 2010 pour répondre à un vaste spectre de scénarios de crises (dont les catastrophes climatiques). La sécurité environnementale recèle dès lors un fort potentiel de coopération interétatique. Ce que d’aucuns envisagent comme une « climate army » internationale demeure certes un fantasme… Pourtant, une telle initiative pourrait s’appuyer sur des précédents conceptuels. En effet, après la catastrophe de Tchernobyl (1986), le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) avait créé le Centre des Nations Unies pour l’assistance environnementale urgente, dissous peu de temps après. La création d’une « Croix verte internationale », comparable à la Croix-Rouge, avait même été soutenue par la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) (10). Et il s’en est fallu de peu pour que des « casques verts » soient créés afin d’être déployables dans le monde entier… Face aux effets transfrontaliers des catastrophes naturelles, de nouveaux mécanismes internationaux pourraient donc se développer dans les années à venir et bouleverser notre perception de ce qui relève des enjeux de défense.

* Elle réalise une thèse sur la manière dont la préservation de la biodiversité marine bouleverse le secteur de la défense et est l’auteur de « Les futures victoires de l’armée de Terre seront vertes ! De l’écologie de combat au combat écologique » (étude prospective pour l’armée de Terre, mars 2022).

Notes

(1) Rapport de la Commission mondiale de l’environnement et du développement « Notre avenir à tous » : « Chapitre 11 : Paix, sécurité, développement et environnement », 1987 (https://​rb​.gy/​y​c​mfg).

(2) Secrétaire général de l’ONU, « Les changements climatiques et leurs répercussions éventuelles sur la sécurité », A/64/350, 11 septembre 2009. La notion de « threat multiplier » a été réutilisée par Antonio Guterres lors d’une intervention à l’université de New York (NYU) en mai 2017.

(3) Nicolas Regaud, Bastien Alex, François Gemenne, La Guerre chaude, Presses de Sciences Po, 2022.

(4) The White House, « National Security Strategy of the United States », août 1991, p. 3 (https://​rb​.gy/​e​o​4s3).

(5) Appellation en vigueur depuis 2017.

(6) La Russie disposant de deux bases militaires en Syrie : la base navale de Tartous et la base aérienne de Hmeimim.

(7) Voir l’instruction interministérielle 10100 du 14/11/2017 relative à l’engagement des armées sur le territoire national lorsqu’elles interviennent sur réquisition de l’autorité civile (https://​rb​.gy/​s​m​0tz).

(8) État-major de armées, Division maîtrise des armements, « Mémento IA pour la mise en condition opérationnelle avant déploiement sous menace NRBC en milieu extrême », publication interarmées PIA-3.8.2_MCO-NRBC (2008), n°864/DEF/EMA/MA4/NP du 3 juin 2008 (https://​rb​.gy/​r​0​nro).

(9) Rapport de la Commission mondiale de l’environnement et du développement « Notre avenir à tous », op. cit.

(10) Alexandra Nicolas, « Les futures victoires de l’armée de Terre seront vertes ! De “l’écologie de combat” au combat écologique », mémoire de recherche, ministère des Armées, mars 2022 (https://​rb​.gy/​x​6​u1e).

Légende de la photo en première page : Militaire français faisant face à une tempête de sable au Mali, en 2016. Les forces armées seront amenées à agir dans des théâtres d’opérations avec des conditions météorologiques dégradées. Tout en veillant à alléger le bilan carbone des opérations, les soldats comme le matériel devront s’adapter et se conformer à des climats plus rudes : températures extrêmes, précipitations accrues, taux d’humidité élevés, vents de sable plus intenses. (© G. Cabre/Armée de terre)

Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°76, « Géopolitique du changement climatique », Octobre-Novembre 2023.
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