Le RCEP semble être un accord fructueux, les chiffres montrant une accélération des flux et des échanges commerciaux. C’est d’ailleurs l’accord qui fonctionne le mieux car il est le moins contraignant, notamment par rapport aux contraintes environnementales et de loi du travail. Il correspond également davantage à la culture des pays de la région. À terme, le RCEP fera disparaitre les frais de douane sur 90 % de produits échangés dans cette région.
En 2022, le président américain Joe Biden annonçait depuis Tokyo le lancement d’un nouveau partenariat, l’IPEF, associant 13 États participants. Quelle est la spécificité de cette alliance et quels sont les enjeux pour les États-Unis ?
Le retrait des États-Unis du TPP a été mal vécu par la plupart des pays en Asie du Sud-Est, y compris le Japon. Même avant que Trump prenne cette décision, il avait été reproché à l’administration Obama son manque d’empressement à finaliser l’accord et à transmettre à l’administration suivante la concrétisation de ce dernier. N’oublions pas que dans l’esprit de Barack Obama (et de son administration), c’est Hillary Clinton qui devait lui succéder et non Donald Trump. Après la pandémie de Covid-19, qui a provoqué d’importants problèmes économiques dans la région, les États-Unis étaient attendus au tournant pour relancer l’économie dans la région. Mais l’IPEF a créé la déception.
En effet, ce dernier n’est pas un accord commercial multilatéral comme le PTPGP ou le RCEP. Il s’agit essentiellement d’un renforcement des partenariats bilatéraux visant une meilleure intégration des pays membres dans quelques domaines clés, comme l’économie numérique, les chaines d’approvisionnement, les énergies vertes ou la lutte contre la corruption. Ce sont en réalité des secteurs d’intérêt pour les États-Unis, provoquant les frustrations des pays de la région, doutant du fait que cet accord puisse réellement avoir une influence considérable dans leurs économies. Les États-Unis ont par exemple décidé de renforcer leur coopération avec le Vietnam en matière de science, de technologie et d’innovation numérique. Reconnaissant le potentiel du Vietnam en tant que futur acteur de l’industrie des semi-conducteurs, les États-Unis soutiennent le développement rapide d’un écosystème vietnamien qui, à terme, fera concurrence à la Chine.
L’IPEF demeure un accord trop sectoriel et ponctuel au gout des pays de l’Indo-Pacifique. En réaction, les États-Unis affirment que l’IPEF a vocation à évoluer et qu’il devrait à l’avenir concerner de plus en plus de secteurs et intégrer de plus en plus de pays.
En 2017, c’est le président américain Donald Trump qui actait le retrait des États-Unis du TPP. Quelle pourrait être la conséquence d’un retour de Trump au pouvoir sur la politique commerciale des États-Unis dans la zone indo-pacifique ?
La certitude, c’est que l’administration Trump n’intègrera pas le PTPGP, ne voulant pas participer à un grand accord multilatéral sur lequel il n’a plus vraiment la main. En outre, d’après de nombreuses déclarations, il promet de mettre fin à l’IPEF en cas d’élection en novembre prochain. Tout comme il avait déconstruit le travail entrepris par l’administration Obama avant lui, il est probable qu’il fasse de même vis-à-vis de l’accord initié par Biden.
Une arrivée de Trump au pouvoir refroidirait très certainement les pays de la région. Ce n’est pas nouveau pour les pays asiatiques. Les politiques, les économistes et les universitaires de la région le disent eux-mêmes : les États-Unis ne sont pas un partenaire fiable. Par le jeu de la démocratie qui entraine l’alternance entre républicains et démocrates, ils empêchent une continuité de leur politique commerciale et peuvent se retirer à tout moment.
À l’inverse, les pays partageant une frontière avec la Chine ou qui commercent depuis très longtemps avec elle, considèrent Pékin comme un partenaire bien plus fiable et sérieux que les États-Unis, malgré toutes les limites politiques, internes, géopolitiques de la Chine. De plus, c’est un partenaire régional, ce que ne sont pas les États-Unis, qui ne font pas partie de cette grande famille des pays asiatiques.
Lors de son mandat, Trump avait entrepris une guerre commerciale avec la Chine pour rééquilibrer la balance commerciale des États-Unis, très déficitaire. En réalité, ce n’était pas vraiment une guerre commerciale, mais une guerre technologique, ayant pour but de ralentir l’évolution technologique et industrielle de la Chine. Depuis, Biden n’a fait que continuer la politique mise en place par Trump.
De son côté, Biden impose la condition de la démocratie, ne voulant parler qu’avec des pays démocratiques. Les États-Unis ont par exemple refusé d’intégrer le Cambodge à l’IPEF sous prétexte que ce n’est pas une démocratie. Cependant, ils ont intégré le Vietnam. Cette politique de deux poids, deux mesures a tendance à irriter les pays de la région qui ne considèrent pas Washington comme un acteur fiable.
L’Inde, autre géant économique de la région indo-pacifique, n’est pas membre du TPP et s’est retirée du RCEP chinois. En revanche, elle participe à l’IPEF. Comment expliquer le positionnement commercial du gouvernement indien ?
Le gouvernement de Narendra Modi a mis en place depuis 2014 une politique d’ouverture aux investissements directs étrangers (IDE). Il y a une réelle volonté pour l’Inde d’avoir un modèle de développement à peu près similaire au modèle de développement chinois. Le pays se rêve en future Chine.
Cette ouverture à l’économie mondiale a été un succès puisque, ces dix dernières années, l’Inde est très présente dans des secteurs clés comme l’informatique (services et logiciels) et la biotechnologie (produits pharmaceutiques, médicaments génériques, vaccins, biotechnologies agricoles), devenus des domaines de pointe en Inde. Cette réussite, l’Inde la doit en partie aux IDE. De toute évidence, l’Inde ne peut pas se couper du commerce international puisqu’elle a un besoin absolu de la mondialisation et des IDE pour pouvoir se développer.
Si New Delhi s’est retirée du RCPE, c’est par peur que les produits chinois viennent inonder le marché indien, creusant ainsi encore la balance commerciale avec la Chine et détruisant des millions d’emplois. Or, aujourd’hui, l’Inde est dans une logique de création d’emplois. Chaque année, ce sont 12 millions de personnes qui arrivent sur le marché du travail en Inde. Il faut donc créer du développement et de la richesse. L’Inde a besoin des IDE américains, l’IPEF permettant un rapprochement commercial et stratégique entre les deux pays, et ce, malgré quelques nuages dans les relations bilatérales, ce que l’annulation surprise de la visite de Biden en Inde (janvier 2024) a bien démontré.