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De la trirème au porte-avions : l’évolution du rôle du groupe aéronaval. Disquisition en mer Égée

Les échines ploient sous les rafales de vent glacé qui tourbillonnent dans la cour. Les épais manteaux de laine s’alourdissent d’eau froide tandis que la pluie ruisselle sur le casque des cavaliers dont les sabres semblent plus lourds à porter. Le détachement de la garde républicaine, fidèlement aligné sur le gravier fraîchement ratissé, paraît onduler au gré des bourrasques.

La voiture sombre pénètre dans la cour du palais de l’Élysée avant d’arrondir sa trajectoire pour rejoindre le pied du perron sous les regards d’une cinquantaine de journalistes dont l’attention s’éveille soudainement.

La poignée de main entre les deux dirigeants, illuminée par les flashs des appareils photo, est chaleureuse, mais grave. Malgré l’amitié qui les unit depuis plusieurs années, leurs visages sont fermés. Ils sont « vivement préoccupés », indiquera plus tard le communiqué officiel de la présidence de la République paru pour relater le long entretien entre les deux hommes et leurs conseillers.

Quelques heures auparavant, la marine turque a déclenché un exercice de grande ampleur en mer Égée. Un patrouilleur grec, envoyé pour en surveiller le déroulement, a sombré en pleine nuit dans des conditions obscures, déclenchant une poussée de fièvre belliqueuse attisée par des mouvements de troupes suspects aux frontières et à Chypre. Un hélicoptère de la marine hellénique envoyé à sa recherche a été la cible de tirs, allumant une véritable guerre informationnelle entre les deux camps. Après avoir placé son armée en état d’alerte, le Premier ministre grec a entamé une tournée européenne destinée à solliciter l’appui de ses alliés.

Le lendemain matin, le conseiller diplomatique du président de la République embarque à bord d’un Falcon de la flotte gouvernementale à destination de la Grèce. Lorsque l’élégant oiseau blanc prend son envol, le conseiller se prend à rêver d’un monde à l’image du ciel de l’Île-de-France ce matin-là : clair et sans turbulence.

Face à lui dans l’avion se trouve un officier de marine, adjoint du chef d’état – major particulier du président chargé des affaires navales et de la dissuasion nucléaire. S’il n’est pas réputé pour être très bavard, le conseiller décide de l’interroger sur les débats du conseil de défense qui s’est tenu la veille au soir.

— Commandant, vous avez proposé au président de déployer le porte – avions en mer Égée. Pourquoi diable envoyer notre pièce maîtresse dans une mer exiguë, où les escarmouches navales sont monnaie courante, et où sa présence risque d’ajouter de la confusion à une situation déjà tendue ?

L’officier lève sa tête du volumineux dossier dans lequel il est plongé :

— Pour être précis, nous avons proposé l’envoi du groupe aéronaval (GAN), c’est-à‑dire le porte – avions accompagné de plusieurs frégates, d’un sous – marin et d’un pétrolier ravitailleur, dirigés par un état – major embarqué sous les ordres d’un amiral.

— Vous pouvez jouer sur les mots, réplique le conseiller, mais la presse ne retiendra, comme moi, que le déploiement du porte – avions. Ce qui ne manquera pas d’ailleurs de ressusciter les vieux débats concernant son utilité, à commencer par la question de sa vulnérabilité : le développement rapide d’armes « tueuses de porte-avions », qu’il s’agisse de missiles supersoniques, de planeurs hypersoniques ou de fusées balistiques antinavires, sonnera peut-être bientôt le glas de ces coûteux mastodontes. N’est-il pas temps céder la place de capital ship, comme l’avaient fait jadis les galères, le vaisseau de ligne ou le cuirassé ? J’ai l’impression que les candidats au remplacement ne manquent pas : essaims de drones, avions de 6e génération, vecteurs spatiaux…

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