Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

La mer : colonne vertébrale de l’économie mondiale et défi pour la souveraineté française

Concernant les risques liés au dumping social et à la concurrence déloyale affaiblissant les armateurs français, la récente prise de conscience issue des licenciements massifs de marins européens de la compagnie transmanche P&O Ferries s’est finalement traduite par la loi Le Gac du 26 juillet 2023. Les décrets d’application publiés fin mars 2024 permettent de mieux lutter contre le dumping social transmanche et renforcent la sécurité du transport maritime. Pour autant, si la loi Le Gac constitue une réponse forte au niveau national, celle-ci doit désormais être portée au niveau européen, alors même que le paquet législatif de révision des directives relatives au transport maritime présenté fin 2023 ne contenait aucune disposition visant à réduire les pratiques de dumping et que de nombreuses lacunes demeurent au niveau mondial.

Concernant la filière pêche, les professionnels sont confrontés à des obstacles structurels anciens, qui se sont accentués au gré des crises conjoncturelles récentes (Covid-19, crise de l’énergie, épisodes inflationnistes). Alors que les navires sont âgés en moyenne de 31 ans (6), la filière fait face à un important taux d’érosion, avec une diminution des effectifs de marins pêcheurs de près de 10 % rien qu’entre 2020 et 2021 (7). Aussi, la pêche professionnelle française est fragilisée par de nombreux phénomènes qui s’amplifient, tels que la concurrence accrue avec les États membres de l’UE et les États tiers, couplée à une réduction croissante des zones de pêche en raison d’accords politiques (par exemple entre l’UE et le Royaume-Uni en 2022 à l’issue du Brexit), d’un effondrement des ressources halieutiques, des restrictions liées à des considérations environnementales (comme l’illustrent les arrêtés successifs du Conseil d’État en 2023 pour mieux préserver ponctuellement les populations de mammifères marins dans le golfe de Gascogne (8)) et des nouveaux usages de la mer liés au déploiement des énergies marines renouvelables.

En ce qui concerne les ports français, la crise liée à la pandémie de Covid-19 a montré à quel point ils constituaient, et notamment les trois principaux — HAROPA, Marseille et Dunkerque —, aussi bien des instruments de souveraineté incontournables que des atouts stratégiques indispensables au maintien et au développement de la compétitivité économique. Partant de ce constat, la stratégie nationale portuaire de 2021 identifie les priorités afin de surmonter les limites actuelles du modèle français en ciblant un objectif de reconquête des parts de marché devant porter à 80 % à l’horizon 2050 (contre 60 % aujourd’hui) la part du fret conteneurisé à destination ou en provenance de la France qui est manutentionnée dans les ports de commerce français, et ainsi reconquérir les flux européens. L’ambition est de pouvoir à terme se positionner comme des concurrents réels au « Delta d’Or », qui rassemble les ports d’Anvers, Zeebrugge et Rotterdam, et plus largement de consolider notre position dans la rangée nord-européenne.

Enfin, concernant l’industrie navale, à l’échelle européenne, il convient de mettre en place une véritable stratégie industrielle maritime pour lutter contre le dumping asiatique qui gonfle anormalement les carnets de commande chinois ou sud-coréens à coup de subventions et sans aucun règlement de l’UE pour y faire face. En agissant sur les incitations financières, l’investissement continu pour la R&D et l’outil de production au profit du « made in Europe », un cadre réglementaire plus favorable pour soutenir la compétitivité et former plus de main-d’œuvre qualifiée, l’industrie navale européenne et en particulier française pourra construire 10 000 navires décarbonés et digitalisés à l’horizon 2035 (9).

Des défis réels restent à relever pour assurer un développement pérenne à moyen et long terme

D’une part, les enjeux de formation et d’attractivité demeurent une problématique majeure pour un grand nombre de filières de l’économie maritime, qui voient pour l’heure leur activité freinée en raison d’une main-d’œuvre qualifiée trop largement insuffisante, comme en attestent les quelque 400 000 emplois vacants, dont 100 000 rien que pour la filière pêche.

D’autre part, la crise en Nouvelle-Calédonie a provoqué une situation de quasi-effondrement économique alors que les acteurs locaux estiment les pertes entre 20 et 30 % du PIB local en seulement trois mois. Cette situation fragilise de fait la position française dans l’Indo-Pacifique, dont la mise à jour de la stratégie de 2019 a été repoussée sine die.

Aussi, dans la situation politique et institutionnelle actuelle, il existe un enjeu de cohérence réel quant à la poursuite des objectifs énergétiques fixés, tandis que la France est déjà en retard sur les cibles européennes en matière d’énergies renouvelables.

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