En cas de réélection, Donald Trump menace de ne plus garantir la protection des « mauvais payeurs » de l’OTAN, voire d’encourager la Russie à les attaquer. Le milliardaire ne dissimule pas non plus son souhait de faire sortir les États-Unis de l’Organisation. En réalité, quel que soit le parti gagnant en 2024, le Pentagone pourrait être obligé d’effectuer un redéploiement majeur de ses forces actuellement stationnées en Europe pour concentrer la plus grande partie de ses moyens militaires dans l’Indopacifique.
Selon certains analystes, la Chine pourrait en effet avoir la capacité d’envahir Taïwan dans un avenir proche. Or, si un tel scénario devait se confirmer, les forces américaines ne seraient pas en mesure de l’emporter sur deux fronts simultanés face à de grandes puissances. Cette perspective est particulièrement inquiétante dans un contexte où certains estiment la Russie capable d’attaquer un ou plusieurs pays européens de l’OTAN d’ici cinq à huit ans. Les membres européens de l’Alliance atlantique sont-ils néanmoins en mesure d’assurer leur propre défense sans l’aide des Américains ? En cas de désengagement partiel ou total des États-Unis vis-à‑vis de l’OTAN, quels sont les scénarios à envisager pour garantir la défense de l’Europe ?
Les États-Unis et les pays européens au sein de l’Alliance : quelques données chiffrées
L’OTAN – qui vient de fêter ses 75 ans – représente probablement la coalition militaire la plus robuste et la plus avancée de l’histoire contemporaine. Les pays membres de l’Organisation possèdent ensemble plus d’effectifs et d’équipements militaires que la Russie, considérée comme « la menace la plus importante et la plus directe » pour la sécurité des Alliés, mais également la Chine, qui « fait peser sur la sécurité euro-atlantique » des « défis systémiques » (1). Néanmoins, une bonne part de cette supériorité numérique est à mettre à l’actif des États-Unis. A contrario, l’OTAN n’est pas un outil vital pour faire face au défi chinois qui constitue, depuis 2011, la priorité stratégique du Pentagone.
Sur les 3,3 millions de militaires en service actif dont dispose l’Organisation, 1,4 million sont américains et près de 1,3 million sont issus des 23 pays de l’Union européenne également membres de l’Alliance (2). Aujourd’hui, les États-Unis assurent à eux seuls près des deux tiers des dépenses militaires de l’Alliance (ou contributions indirectes de l’OTAN) et fournissent environ 70 % des équipements critiques, tels qu’hélicoptères, appareils de ravitaillement en vol, défense antimissile balistique, reconnaissance et renseignements satellitaires. En outre, cinq des neuf postes de commandement les plus importants de l’Organisation – dont celui de Commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR) – sont occupés par des Américains (3). Au total, près d’un septième des effectifs du commandement allié Opération (ACO) – dirigé par le SACEUR – sont américains (soit environ un millier de personnes).
Le général américain qui assume la fonction de SACEUR a une double casquette puisqu’il est aussi le chef du Commandement des forces des États-Unis pour l’Europe (COM EUCOM – United States European Command), dont la zone de responsabilité est pratiquement identique à celle de l’ACO. Selon les décisions prises à Washington, les forces américaines peuvent donc être placées sous le commandement du SACEUR et/ou du COM EUCOM. Washington peut ainsi décider d’engager ses forces prépositionnées en Europe en dehors du commandement de l’OTAN et éventuellement sous la forme d’une coalition.
La remontée des effectifs militaires américains prépositionnés en Europe à un niveau d’environ 100 000 hommes (contre 75 000 en février 2022), faisant suite à la seconde invasion de l’Ukraine par la Russie – et représentant actuellement plus de la moitié des soldats américains déployés à travers le monde –, confirme le rôle que joue Washington au sein de l’Alliance atlantique (4). Les États-Unis participent – en tant que pays contributeur ou pays cadre (en Pologne) – à cinq des huit groupements tactiques multinationaux de la « présence avancée renforcée » (Enhanced forward presence – EFP) de l’OTAN, positionnée en permanence sur le flanc est de l’Alliance. Last but not least, les Américains contribuent au « nouveau modèle de forces » de l’OTAN (New Force Model – NFM) qui devrait rassembler jusqu’à 800 000 hommes disponibles sous trois mois pour la défense de l’Europe. Les Européens devraient néanmoins fournir l’essentiel des forces du NFM déployables sous 10 à 30 jours (5).
Les membres européens de l’Alliance atlantique ne disposent pas, à l’heure actuelle, des ressources nécessaires pour mener, sans les États-Unis, une guerre de haute intensité face à un pays tel que la Russie, que ce soit individuellement ou collectivement. Cela peut sembler paradoxal quand on sait que, par exemple, les budgets de défense cumulés des États membres de l’UE sont trois fois supérieurs à celui de la Russie (et ce malgré l’augmentation de 24 % du budget de défense de cette dernière en 2023 par rapport à 2022). En outre, les pays de l’UE alignent ensemble plus de militaires que la Russie (qui compte actuellement 1,1 million de soldats d’active), mais également plus d’avions de combat (± 2 000), plus de chars (± 4 000) et bien plus de navires de guerre (± 180) (6). En réalité, le gros problème des Européens (qu’ils fassent ou non partie de l’UE) est qu’ils manquent des instruments nécessaires – capacités de commandement et de contrôle (C2) ; moyens de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (Intelligence, Surveillance and Reconnaissance – ISR) ; capacités logistiques et munitions suffisantes – pour combattre de manière efficace et autonome. Enfin, la posture de dissuasion de l’OTAN repose essentiellement sur les armes nucléaires des États-Unis déployées à l’avant en Europe.