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Les richesses maritimes au cœur de toutes les convoitises : vers un Far West maritime ?

Le corpus de « richesses maritimes », limité durant des siècles aux ressources de la biomasse, c’est-à-dire essentiellement de la pêche ou de la chasse, s’est trouvé brutalement enrichi au cours du XXe siècle d’une gamme immense de ressources inertes mais devenues objet de convoitises, dont dans un premier temps les hydrocarbures et dans un second temps les minerais métalliques.

Ces richesses, dont l’existence ou la valeur était insoupçonnée, ou dont l’accès était impossible en raison des contraintes imposées par les profondeurs (dont le froid, l’absence de lumière et l’énorme pression) sont très inégalement réparties. Malgré ces handicaps, elles excitent les convoitises des puissances riveraines qui tentent d’acquérir des titres de souveraineté sur les espaces correspondants.

Les territoires de souveraineté océanique constitués d’abord par les approches maritimes des États ont été ensuite étendus jusqu’à la limite du plateau continental et aux zones économiques exclusives (ZEE), ce qui fait que la portion de l’océan mondial libre de toute conquête territoriale se trouve désormais réduite. Mais parmi ces territoires marins « libres », les plus convoités (ou les plus menacés selon les points de vue) sont les territoires riches en iles. Leur conquête effective, sur fond de richesses halieutiques, métalliques ou pétrolières, est un enjeu essentiel car le champ d’exploration et de recherche de ces richesses va maintenant bien au-delà, dans la « haute mer », hors de toute juridiction, ce qui pose désormais le problème de leur appartenance.

L’acquisition des richesses maritimes a ainsi un double aspect : il s’agit d’une part d’une acquisition juridique issue principalement de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, ou convention de Montego Bay (1982), concernant la surface et les profondeurs marines, mais aussi d’autre part d’une acquisition réelle, permise par les progrès technologiques et par la puissance mécanique.

Ces deux types d’acquisition se superposent : lorsqu’elles sont en concordance de phase, elles mènent à des mises en valeur raisonnées, même si elles ne sont pas exemptes de conflits internes, comme le sont par exemple les exploitations pétrolières en mer du Nord ; au contraire, lorsque ces deux types de richesses sont déconnectées, elles peuvent mener à des tensions ou à des conflits. Si la possession juridique précède la découverte de la richesse réelle, les conflits peuvent rester mineurs et la revendication n’a qu’une dimension politique destinée à masquer des questions plus graves. Si au contraire l’acquisition réelle devance l’acquisition juridique, les tensions sont d’un autre ordre et peuvent aller jusqu’au conflit armé, comme pourraient le devenir les conflits de souveraineté autour des iles Spratleys entre la Chine et les États voisins ou les tensions entre États de la Méditerranée orientale.

Frontières et richesses maritimes : un lien essentiel

« Ainsi parlaient-ils, et le mauvais dessein l’emporta. Ils ouvrirent l’outre, et tous les vents s’échappèrent. La tempête aussitôt les saisit et les emportait en pleurs vers la haute mer, loin de la patrie » (Homère, L’Odyssée, Chant X). La convention de Montego Bay, signée par 167 pays (bien que non ratifiée par certains comme les États-Unis), est l’expression la plus évidente du lien entre les richesses maritimes, les convoitises des États riverains et le tracé des frontières. Telle l’outre d’Éole ouverte par mégarde par les compagnons d’Ulysse qui croyaient y trouver or et argent, cette convention est à l’origine de convoitises et de conflits sur le milieu maritime à un point insoupçonné auparavant. Si la « course à la mer », qui débuta au milieu du XXe siècle peut être comparée au Scramble for Africa [« Partage de l’Afrique »] issu de la conférence de Berlin de 1885, de même l’océan mondial, autrefois res nullius (« la chose de personne »), selon l’expression du juriste néerlandais Hugo Grotius (1583-1645), est donc maintenant découpé en un puzzle complexe par des frontières maritimes.

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