Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Les richesses maritimes au cœur de toutes les convoitises : vers un Far West maritime ?

Ces dernières, juridiquement différentes des frontières terrestres, ne marquent pas des limites de souveraineté, mais des limites de juridictions exclusives aux champs de compétence limités. Ces limites elles-mêmes sont de deux types : vers le large avec les « lignes d’allocation » (eaux territoriales, zone contiguë, ZEE, extension de celle-ci, situées respectivement à 12, 24, 200 et 350 nautiques de la ligne de base littorale) et latéralement avec les États voisins (donc des frontières de partage), dont les éventuels chevauchements doivent être réglés selon un mode bilatéral ou judiciaire.

La convention de Montego Bay est à l’origine de nombreux conflits latents et non résolus qui se traduisent par des affrontements physiques ou des intimidations internationales. Les conflits de frontières océaniques sont en effet en lien direct avec les richesses maritimes, potentielles ou avérées, que recèle le milieu marin, mais aussi avec la puissance navale des États riverains.

Richesses potentielles et richesses réelles

Il est intéressant de noter que les États latino-américains riverains du Pacifique (Équateur, Pérou, Chili dès 1947, puis Nicaragua, Salvador et Guatemala) furent les premiers à revendiquer le droit d’exploitation exclusif de leur espace maritime, celui-ci ayant été parfois fixé unilatéralement jusqu’à 200 nautiques. En effet, le littoral sud-américain le long du Pacifique est longé par le courant de Humboldt, le plus grand upwelling (1) du monde, qui permet grâce à la remontée d’eaux froides chargées de nutriments et à un ensoleillement tropical de connaitre un « printemps éternel » et donc les mers les plus poissonneuses.

À ces constats de richesses réelles peuvent être opposées des aires de richesses potentielles non encore exploitées, car soit inexplorées, soit inaccessibles avec la technologie actuelle. C’est ainsi qu’en mer Rouge, le long du rift central et du West Sheba Ridge (dans le golfe d’Aden), les fonds sont tapissés d’une richesse minérale de grande valeur associée aux black smokers. Les minerais de l’océan profond sont ici des minerais polymétalliques (cuivre, zinc, plomb et argent en sulfures), or et baryum (sulfates), cobalt, nickel, cuivre et manganèse (oxydes/hydroxydes). La mer Rouge en recèle des quantités impressionnantes dans 13 sites sur le rift comme à Atlantis II Deep avec des couches de sulfures de 20 mètres d’épaisseur sur 50 kilomètres carrés. Comme les deux rives de la mer Rouge sont très resserrées et que les limites des ZEE riveraines se chevauchent, Arabie saoudite, Égypte et Soudan ont décidé de délimiter une « zone d’exploitation commune » qui ne deviendra effective que lorsque les moyens technologiques permettront le ramassage à 3 500-4 000 m de profondeur. Convoitises, richesses potentielles ou réelles et étendues des allocations maritimes sont donc tantôt en phase, tantôt en opposition de phase. La lutte sera ainsi inégale.

Richesses, conflits et arbitrages

Les conflits de territoires maritimes, en raison de la superposition fréquente des ZEE d’États riverains, peuvent conduire à des tensions internationales, tantôt de faible ampleur, tantôt plus graves.

Le cas de la Dixon Entrance, entre le Canada et les États-Unis sur la côte Pacifique, n’est qu’un conflit local affectant les flottilles de pêche au saumon, la revendication américaine (pour l’Alaska) débordant vers le sud la revendication canadienne (pour la Colombie-Britannique). Mais il existe des cas plus graves : nulle part les tensions et revendications ne sont plus nombreuses que dans le golfe du Mexique, la mer des Caraïbes et la mer de Chine méridionale.

En effet, dans le golfe du Mexique et la mer des Caraïbes, les zones de compétence maritimes (jusqu’à la ZEE) font l’objet de vives revendications de la part de petits États tant insulaires que continentaux, dans le but essentiel de se faire reconnaitre des zones de pêche aussi vastes que possible et de prendre date dans l’éventualité de ressources offshore en hydrocarbures et minerais. Un cas isolé exemplaire, et à la limite du canular, est constitué par l’ile Bermeja : cet ilot situé dans le golfe du Mexique, au Nord du Yucatan (22°33’ N, 91°22’ W), déjà signalé sur une carte de 1846, fut attesté en 1864 sur la carte ethnographique du Mexique. Cette « ile », permettait selon Montego Bay de revendiquer une ZEE mexicaine étendue jusqu’au 25e parallèle, englobant par là même le champ d’hydrocarbures de Hoyo de Don. Or, lors d’une campagne d’exploration pétrolière de 1997, cette ile fut introuvable et son existence fantomatique résulterait d’une erreur de cartographie qui permet aux États-Unis de gagner une portion de ZEE supplémentaire et 40 % de la surface de concession pétrolière de la zone.

Un autre cas emblématique est la question de la mer de Chine méridionale où le désir de militarisation chinoise des iles et ilots des Spratleys et des Paracels va de pair avec la recherche de nouveaux gisements pétroliers. La Chine a entièrement militarisé en 2022 au moins trois iles des Spratleys, Mischief Reef, Subi Reef et Fiery Cross Reef, sur lesquelles ont été installés des missiles antinavires et antiaériens ainsi que des systèmes de brouillage, et avait déjà militarisé Woody Island dans les Paracels [voir p. 52]. La politique du « fait accompli » vise à étendre la juridiction chinoise sur des ilots inhabités afin de constituer une ZEE de grande taille.

0
Votre panier