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Irak : entre crises internes et pressions extérieures, un équilibre précaire

Irak de 2024 poursuit une trajectoire marquée par une crise structurelle hautement complexe, où se mêlent divisions politiques, tensions sociales, défis sécuritaires et pressions exercées par des puissances étrangères. Plus de vingt ans après la chute de Saddam Hussein, le pays continue de faire face à des conflits internes et à des influences extérieures qui fragilisent sa stabilité politique et menacent sa cohésion nationale. Cinq facteurs centraux façonnent le paysage irakien actuel : la fragmentation du champ milicien chiite, la résurgence de la menace terroriste, l’intervention militaire turque contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), la discorde endémique entre Erbil et Bagdad, ainsi que l’émergence d’aspirations indépendantistes au sein de la communauté sunnite. Enracinés dans des décennies de luttes et de bouleversements politiques, ces enjeux continuent de peser lourdement sur l’avenir de l’Irak et sur sa quête de souveraineté.

Le Hachd, l’Axe, le Front : une menace milicienne fragmentée en Irak

En 2024, le paysage milicien en Irak connait une fragmentation sans précédent, exacerbée par la gestion des conséquences du 7 octobre. Cette dispersion des forces miliciennes complique considérablement la tâche du gouvernement, dont le droit exclusif de déclarer la guerre et la paix est de plus en plus contesté par ces organisations. À mesure que les interlocuteurs se multiplient, l’enjeu de négociation pour restaurer ce monopole devient d’autant plus complexe pour un gouvernement déjà affaibli.

En 2014, lorsque Daech occupait une partie importante du territoire irakien, l’ayatollah Sistani, plus haute autorité religieuse chiite en Irak, émet une fatwa exhortant les Irakiens à se mobiliser contre l’armée de Daech. En réponse à cet appel, plusieurs milliers d’Irakiens prennent les armes et se rendent au front. Dans ce contexte critique, les dirigeants des organisations miliciennes saisissent l’opportunité de créer, avec le soutien du gouvernement, une plate-forme appelée « Mobilisation populaire » (Hachd al-Chaabi). Celle-ci permet d’intégrer, d’organiser, de former et de préparer ces nouvelles vagues de combattants sans expérience, animés par la volonté de défendre leur pays contre Daech.

Grâce à cet élan de mobilisation, plusieurs dizaines de nouvelles organisations miliciennes apparaissent, portant leur nombre à plus de 80 en 2024. Cette multiplication entraine également leur division en trois catégories principales. La première regroupe les organisations au sein du Hachd al-Chaabi, qui leur permet d’accéder aux ressources mises à leur disposition par l’État irakien depuis 2014, notamment un budget annuel d’environ trois milliards de dollars. La deuxième catégorie, au sein même du Hachd al-Chaabi, rassemble des organisations qui s’inscrivent dans « l’Axe de la résistance », un cadre d’action moyen-oriental formé par la République islamique d’Iran. Enfin, la troisième catégorie, apparue après le 7 octobre 2023, prend le nom de Front de la résistance islamique en Irak, qui inclut actuellement deux puissantes organisations : les Brigades du Hezbollah irakien et le mouvement Al-Nujaba. Ces deux mouvements, bien qu’ils appartiennent à l’Axe et au Hachd, considèrent l’Irak comme un pays toujours occupé par les Américains et, par extension, par les Israéliens. Dans un pays sous occupation, affirment-ils, c’est à la résistance, et non au gouvernement, de déclarer la guerre et la paix. Cette revendication explique les attaques régulières contre les intérêts américains en Irak, ainsi que les assauts par drones et missiles contre le territoire israélien, en dépit de l’opposition ferme du gouvernement de Bagdad.

La persistance de la menace terroriste

En décembre 2017, le Premier ministre irakien annonçait officiellement la victoire contre le califat de Daech. En réalité, cette victoire n’était que territoriale. Certes, les forces irakiennes, soutenues par la Coalition internationale contre Daech, avaient repris l’ensemble des territoires conquis par les terroristes. Cependant, il est clair que la capacité de frappe de Daech reste une menace constante. La perte de son territoire a rendu Daech encore plus dangereux puisqu’il n’a plus à se soucier de défendre un territoire, une population ou des infrastructures. Dès lors, l’organisation peut planifier des opérations en fonction de ses ressources, de ses opportunités et de ses objectifs, sans contrainte géographique.

À propos de l'auteur

Adel Bakawan

Directeur du Centre français de recherche sur l’Irak, chercheur associé au programme Turquie/Moyen-Orient de l’Institut français des relations internationales (IFRI) et membre de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO).

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