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La défense aérienne et le retour aux fondamentaux de la liberté d’action dans un monde aérobalistique

C’est un véritable paradoxe : depuis les années 2010, une partie du débat stratégique s’est articulé autour des problématiques A2/AD (Anti-access/Area denial) où la défense aérienne joue un rôle crucial (1). De même, depuis 1991 et l’opération « Tempête du désert » – et après, lors des guerres des Balkans –, la question de la lutte contre les IADS (Integrated air defense systems) a largement influencé les débats tactiques et capacitaires dans les armées de l’air. Et pourtant, autant la défense aérienne adverse a été pensée, autant la nôtre a été délaissée.

Plusieurs raisons peuvent expliquer ce décalage, à commencer par une forme de confort stratégique : durant près de trente ans, les États européens, dont la France, n’ont pas été immédiatement exposés à des capacités aériennes adverses, ce qui, durant longtemps, n’a pas justifié un investissement autre que les huit batteries de SAMP et les douze batteries de Crotale NG de courte portée. Les rénovations et commandes de nouveaux missiles Mistral à très courte portée restaient elles aussi été limitées. Ailleurs en Europe, le démantèlement des capacités est également allé bon train : total en Belgique, il a été particulièrement marqué au Royaume-Uni et en Allemagne (perte des capacités de moyenne portée, diminution du nombre de batteries Patriot), avec des réductions systématiques sur les systèmes de courte, moyenne et longue portée dans les autres pays.

S’y ajoute également un confort opératif : les actions en Afghanistan, au Levant et au Sahel offraient une liberté d’action aux forces aériennes, les principales menaces qui pesaient sur elles relevant de l’attrition endogène – les accidents – et les actions terrestres visant les bases aériennes. Certes, les guerres des Balkans ou la guerre du Golfe de 1991 ont démontré qu’un adversaire bien entraîné pouvait infliger des pertes même s’il ne disposait pas de systèmes avancés. Mais, comme en Libye en 2011, les États européens pouvaient compter sur un appui américain permettant de dresser l’ordre de bataille électronique adverse, de cibler puis d’engager ses capacités. Les interrogations sur les moyens de contrer les dispositifs A2/AD ont été le seul réel contrepoint, mais sans déboucher sur un investissement à notre profit dans ces logiques A2/AD.

Sociologiquement, la défense aérienne n’a jamais été une arme particulièrement prestigieuse, que ce soit lorsqu’elle dépendait de l’armée de Terre ou lorsqu’elle a été confiée à l’armée de l’Air. Elle ne sera jamais perçue comme peut l’être l’infanterie, la cavalerie ou la chasse, de sorte que les voix en faveur d’un retour à une posture défensive ont été peu nombreuses dans l’Hexagone (2). Ce qui est vrai en France l’est également ailleurs. Le déficit américain en défense aérienne s’explique en bonne partie par ce biais sociologique, de même que, corrélativement, par une série de luttes internes entre services, l’US Air Force s’attribuant naturellement le nettoyage du ciel – alors pourtant que ses capacités en supériorité aérienne tendent à décliner et qu’un appareil comme le F‑35 s’avère bien moins adapté à la chasse que le F‑16 qu’il remplace (3).

Enfin, il faut ajouter à ces différentes raisons un contrepoint : si la défense aérienne a perdu en visibilité comme en priorisation politique et militaire, la question de la lutte antibalistique a peut-être joué un rôle de compensation. Les années 2010 ont été celles de sa mise à l’ordre du jour aux États-Unis – pour leur défense territoriale – et dans quelques pays européens (pour la défense de théâtre), ce qui s’est traduit par la mise en place d’une architecture spécifique incluant deux bases terrestres, en Pologne et en Roumanie, et par le déploiement d’un système de commandement – l’Integrated air and missile defence (IAMD), au sein du NATINADS (4) – et de plusieurs destroyers Aegis en Espagne. On ne connaît d’ailleurs pas encore les intentions de la nouvelle administration américaine à l’égard d’un système qui complète « par interdiction » un dispositif de dissuasion otanien « par représailles ». Il reste que les capacités antibalistiques sont avant tout, à l’exception de SM‑3 américains finalement peu nombreux (5) et des futurs Arrow‑3 allemands, des systèmes endoatmosphériques de basses couches, résultant de l’évolution du Patriot ou du SAMP.

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