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Indonésie : se tenir à égale distance de Pékin et Washington

En avril 1997, la chute de la bourse de Bangkok, suivie par celle du baht thaïlandais, déclenche une crise financière qui s’étend à d’autres pays d’Asie de l’Est. En Indonésie, la crise devient économique et politique. Dans les principales villes du pays, les étudiants manifestent contre le régime. À Jakarta, des émeutes éclatent le 14 mai 1998. Soeharto finit par démissionner une semaine plus tard. Le PIB de l’Indonésie chute de près de 14 % en 1998 et n’est plus qu’au 37e rang mondial alors que la Chine est passée au 7e rang, derrière l’Italie.

Le PIB indonésien retrouve son niveau d’avant-crise en 2004 et croît au rythme annuel de 5 %. En 2012, l’Indonésie est la 16économie mondiale. Entretemps, la Chine est devenue la 2e économie, derrière les États-Unis.

La Chine est aujourd’hui le principal partenaire commercial de l’Indonésie, représentant 21 % des exportations de cette dernière et 31 % de ses importations en 2022 (6). Mohammad Faisal, du think tank indonésien Center of Reform on Economics, va jusqu’à affirmer que « la principale différence entre l’Indonésie et des pays comme la Thaïlande, la Malaisie et les Philippines est que ces pays ne dépendent pas fortement de la Chine [pour leurs exportations] ». En 2023, alors que les exportations indonésiennes vers la plupart des pays augmentaient, notamment vers l’Inde, celles vers la Chine se sont contractées (7).

La Chine est également devenue le 2e investisseur en Indonésie après Singapour. En 2014, au début de son premier mandat, Jokowi formule son projet baptisé « Nawacita », consistant en neuf priorités pour le développement de l’Indonésie. Dans ce but, il proclame la nécessité de développer les infrastructures pour connecter la périphérie du pays avec les centres de croissance et relier les iles entre elles (8). L’Indonésie est constituée de plus de 16 000 iles qui s’étalent sur plus de 5 000 kilomètres d’ouest en est et a un grand besoin d’infrastructures. La part des dépenses en infrastructures dans le PIB est alors nettement inférieure à celle des autres pays d’Asie (9).

L’année précédente, Xi Jinping avait annoncé le lancement de la Belt and road initiative (BRI), les nouvelles routes de la soie. Ce projet a pour objectif d’améliorer les liaisons commerciales dans le monde. En particulier, il suggère une volonté de la Chine d’intégrer ses voisins dans un réseau d’infrastructures physiques en étoile (10).

La BRI a été présentée dans deux villes, Jakarta et Astana, la capitale du Kazakhstan, principale économie d’Asie centrale et 12e producteur de pétrole du monde. L’Indonésie est située sur l’ancienne route de la soie maritime, à la charnière des océans Pacifique et Indien par laquelle transite quelque 60 % du commerce maritime mondial. Avec près de 280 millions d’habitants, elle est le 4e pays le plus peuplé du monde et sa 16e économie, la plus importante d’Asie du Sud-Est. Le choix de Jakarta était un signe de l’importance de l’Indonésie pour la Chine.

L’Indonésie est devenue la plus grande bénéficiaire de la BRI en Asie du Sud-Est (11). La BRI a notamment financé la construction du premier TGV d’Indonésie, qui relie Jakarta à Bandung, la 3e ville du pays, et des fonderies de nickel, dont le gouvernement interdit désormais l’exportation. Prabowo a d’ailleurs déclaré qu’il ne remettrait pas en question la politique de Jokowi concernant ce minerai (12).

Il faut noter par ailleurs que durant la pandémie de Covid-19, la Chine a été le principal fournisseur de l’Indonésie en équipements de protection médicale et en vaccins.

La question de la mer de Chine méridionale

Cette mer en bordure de l’océan Pacifique s’étend de Taïwan au nord à l’Indonésie au sud, et de la Thaïlande à l’ouest aux Philippines à l’est, avec une superficie de 3,5 millions de kilomètres carrés. Sept pays la bordent, du nord au sud la Chine, Taïwan, le Vietnam, les Philippines, la Malaisie, Brunei et l’Indonésie.

La Chine considère qu’elle fait partie de ses eaux territoriales. Cette revendication remonte à 1947, lorsque le gouvernement nationaliste du Kuomintang délimita ses revendications par une « ligne en onze traits » qui couvre la plus grande partie de cette étendue. En 1953, le Parti communiste chinois (PCC), qui a pris le pouvoir en 1949, en retire le golfe du Tonkin, bordé par le Vietnam, le Cambodge, la Thaïlande et la Malaisie, ramenant la limite à une « ligne en neuf traits » (nine-dash line en anglais), qu’elle considère comme la base historique de sa revendication (13).

L’Indonésie et la Chine ont signé un « partenariat stratégique » en 2005. Dans les faits, les relations entre les deux pays sont réduites au minimum depuis cet accord. Les agissements de la Chine en mer de Chine méridionale (MCM) d’une part, la dépendance de l’Indonésie envers les pays occidentaux en matière de défense d’autre part, rendent les Indonésiens peu enthousiastes pour ce partenariat. En particulier, les exercices bilatéraux, une des principales composantes d’une coopération militaire entre deux pays, ont été suspendus en 2015 en raison des revendications chinoises sur la MCM qui touchent les iles indonésiennes des Natuna. En outre, pour Evan A. Laksmana de l’International Institute for Strategic Studies, un think tank basé à Londres, des questions de politique intérieure et le poids de l’histoire accentuent ce manque d’enthousiasme du côté indonésien (14).

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