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Indonésie : se tenir à égale distance de Pékin et Washington

Un incident va faire monter d’un cran la tension entre les deux pays. En mars 2016, un patrouilleur indonésien arraisonne un chalutier chinois qui pêchait dans les eaux territoriales indonésiennes autour des Natuna et arrête son équipage. Onze heures plus tard, deux garde-côtes chinois réussissent à libérer le chalutier mais le patrouilleur indonésien retourne à sa base avec l’équipage chinois à son bord.

Le mois suivant, Song Tao, chef du département international du PCC, rend visite au président Jokowi. Après l’entrevue, le secrétaire du cabinet Pramono Anung déclare à la presse que l’affaire était un « malentendu » et était considérée comme « réglée » (15). En mai, le ministre Luhut déclare à son tour que l’Indonésie a réglé le différend et que les relations entre les deux pays sont de nouveau normales (16).

Mais fin 2019 et début 2020, des garde-côtes chinois font de fréquentes incursions dans la ZEE indonésienne qui borde les Natuna. L’Indonésie réagit en détachant dans le secteur des avions F-16 de construction américaine et des navires de guerre. Depuis, les incursions ne sont plus que sporadiques. Lentement mais surement, l’Indonésie continue de renforcer ses mesures de sécurité dans le secteur.

Le mois d’avril 2021 est marqué en Indonésie par la disparition d’un sous-marin de la marine, le Nanggala, dans la région du détroit de Lombok, qui sépare l’ile du même nom de Bali. Plusieurs pays, dont les États-Unis, proposent leur aide pour sa recherche. La Chine est plus rapide et envoie trois navires de guerre. Pour Curie Maharani, experte dans le domaine de la défense à l’université privée Bina Nusantara à Jakarta, permettre l’accès au sous-marin à des pays avec lesquels il existe un conflit potentiel revient à « exposer nos faiblesses » (17). Mais malgré la possibilité que la Chine en profite pour recueillir des données océanographiques, l’Indonésie accepte (18). Dans ce contexte, les marines indonésienne et chinoise mènent un exercice conjoint au large de Jakarta en mai (19).

En juin, la Chine et l’Indonésie inaugurent un « high-level dialogue cooperation mechanism ». La réunion est coprésidée par Luhut et Wang Yi, ministre des Affaires étrangères chinois. Pour Derek Grossman de la RAND Corporation, l’Indonésie et la Chine sont peut-être en train de s’améliorer, mais différentes contraintes risquent de limiter le potentiel de leurs relations (20).

En mars et avril 2024, l’Indonésie et la Chine ont tenu des réunions pour discuter de questions de défense bilatérales. Le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi a rencontré le président Joko Widodo, la ministre des Affaires étrangères Retno Marsudi et Prabowo. En aout s’est tenu à Jakarta un Dialogue conjoint Chine-Indonésie sur les affaires étrangères et la défense, au cours duquel les deux pays se sont mis d’accord pour reprendre les exercices militaires conjoints.

Le non-alignement

En 1948, au début de la guerre froide, le vice-président Hatta prononce devant le Komite Nasional Indonesia Pusat, « Comité national central de l’Indonésie » — une instance qui joue le rôle de Parlement dans une Indonésie qui, encore en conflit avec l’ancienne puissance coloniale, ne peut pas encore organiser d’élections — un discours intitulé « Mendayung antara dua karang » (« Ramer entre deux récifs ») (21). Hatta prône une politique étrangère bebas dan aktif, (« libre et active »). Reconnue par la communauté internationale en décembre 1949, l’Indonésie établit des relations diplomatiques avec la Chine, dont le Parti communiste vient de prendre le pouvoir.

En 1955, l’Indonésie accueille la conférence de Bandung, une ville située à 150 kilomètres au sud-est de Jakarta, à laquelle participent 29 pays d’Afrique et d’Asie. Ces pays n’étaient pas tous non-alignés, certains étant militairement alliés aux États-Unis, d’autres dirigés par des partis communistes, étant alignés sur l’Union soviétique.

Quand le président Soekarno se rend aux États-Unis en 1956, c’est avec l’aura d’un « neutraliste » (22). L’Indonésie est un des cinq membres fondateurs du Mouvement des non-alignés en 1961, avec l’Égypte, le Ghana, l’Inde et la Yougoslavie. Mais Soekarno se rapproche progressivement de la Chine. Selon les sources, quelque part entre 1963 (Britannica) et 1965 (Sciences Po), il déclare à l’adresse des États-Unis « Go to hell with your aid » (« Allez au diable avec vos aides ») et rompt avec ces derniers.

Soeharto prend le contrepied de la politique de Soekarno. Nous avons vu qu’il rompait les relations diplomatiques avec la République populaire de Chine. Il renoue avec les États-Unis. Nous avons vu que ce n’est qu’en 1990 qu’il rétablit les relations diplomatiques avec la Chine. Soeharto démissionne en 1998. Son vice-président, Bacharuddin Jusuf Habibie, devient automatiquement président. Il organise en 1999 les premières élections libres d’Indonésie depuis 1955. Il organise également un référendum au Timor oriental, une ancienne colonie portugaise que Soeharto avait annexée en 1975. Près de 80 % des habitants du territoire votent pour l’indépendance. Des violences éclatent aussitôt, commises par des milices pro-indonésiennes, sans que l’armée indonésienne intervienne. En rétorsion, les États-Unis et l’Union européenne suspendent toute coopération militaire avec l’Indonésie.

L’embargo est finalement levé en 2005. L’administration Bush considère en effet qu’isoler l’Indonésie, qui possède la plus grande population musulmane du monde, n’est pas dans l’intérêt des États-Unis, qui mènent une guerre contre les groupes terroristes islamistes (23). En outre, ils s’inquiètent d’une amélioration des relations entre la Chine et l’Indonésie (24).

En 2007, l’Indonésie et les États-Unis lancent un exercice militaire conjoint baptisé « Garuda Shield », d’après l’oiseau de la mythologie indienne que l’Indonésie a adopté comme emblème national. L’exercice, d’une durée de deux semaines, se déroule en Indonésie. Il devient annuel. En 2022, il prend une tout autre dimension, avec un plus grand nombre de soldats indonésiens et américains, la participation de troupes de trois nouveaux pays — l’Australie, le Japon et Singapour — et des observateurs détachés par neuf autres pays, dont la France, raison pour laquelle l’exercice est nommé cette fois-ci « Super Garuda Shield ». En outre, pour la première fois cette année-là, en plus des sites habituels, l’exercice s’est tenu dans des iles de la province indonésienne des Iles Riau, situées en MCM.

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