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Philippines : un verrou vulnérable

Dans la compétition stratégique pour la mer de Chine méridionale, les Philippines ont une position de verrou doublement centrale : d’une part, par leur situation géographique et, d’autre part, par la faiblesse de leurs forces armées. À ces deux paramètres s’ajoute leur attitude ambivalente tant à l’égard de la Chine qu’envers les coopérations avec les États de la région.

Avec plus de 7 900 îles s’étendant sur plus de 1 500 km, les Philippines sont l’exemple par excellence d’un État archipélagique, évidemment très dépendant de la mer pour ses exportations et ses importations. Cette caractéristique archipélagique et le fait qu’elles bordent l’est de la mer de Chine méridionale ont de sérieuses implications pour la stabilité de l’ensemble de la zone. Loin d’afficher l’insolente bonne santé économique de Singapour ou de Brunei, Manille a dû faire face aux mouvements communistes et indépendantistes dès les années 1940 et 1950, ce qui lui a fait logiquement accorder une préférence aux forces terrestres. Dans le même temps, le pays s’ancrait fermement dans le dispositif stratégique américain, avec un traité de défense mutuelle signé en 1951 – et toujours en vigueur – ainsi qu’avec la mise à la disposition des États-Unis de la grande base aéronavale de Subic Bay et de la base aérienne de Clark. Largement utilisées durant la guerre froide et la guerre du Vietnam, ces installations ont été évacuées respectivement en 1992 et en 1991.

Ce contexte de délégation sécuritaire partiel a été largement favorable à Manille, qui s’est engagée, très tôt, dans la prise de plusieurs îlots et récifs des Spratleys. Si des rivalités existaient alors – notamment avec le Sud – Vietnam qui a pris par surprise et sans combat Southwest Key en 1975 –, elles n’ont cependant pas eu l’intensité observée depuis les années 2000. La dégradation de la situation sécuritaire a pour partie été compensée, indirectement, par les États – Unis, y compris après 1992, avec plus ou moins de succès et non sans conséquences pour les forces philippines. Le traité de 1947 régissant les bases étant arrivé à son terme et n’ayant pas été renouvelé, la coopération avec les États – Unis s’est peu à peu réduite avant de reprendre à la fin des années 1990, autorisant de nouveau le déploiement de forces américaines pour la conduite d’exercices interarmées. Dans l’intervalle cependant, la marine et la force aérienne n’ont pu continuer à bénéficier des facilités de maintenance américaines dont elles étaient structurellement dépendantes.

La remontée en puissance des relations américano – philippines est directement liée à la plus grande activité chinoise en mer de Chine méridionale, à partir de 1994. Après 1999 et le Visiting Forces Agreement, le rythme des exercices américano – philippins s’est accru, avec d’abord une attention portée sur le contre – terrorisme. Il faut ensuite attendre 2011 pour voir un nouvel approfondissement des liens entre Manille et Washington, permettant la livraison de trois anciens cotres de la classe Hamilton. Leur entrée en service permet le remplacement des frégates et des corvettes de la Deuxième Guerre mondiale. Un Enhanced defense cooperation agreement (EDCA) est signé en avril 2014 entre Washington et Manille, avec une incidence directe sur la présence américaine, qui n’est plus limitée à la conduite d’exercices, mais comprend aussi des rotations d’unités américaines sur le sol philippin, à l’invitation des autorités, sans établissement de bases permanentes, qui suscitent toujours la méfiance des populations. Plusieurs bases aériennes sont concernées par l’accord, avec à la clé une modernisation de leurs infrastructures en appui aux déploiements des rotations américaines. Reste que la politique intérieure philippine a également eu une incidence sur la vitalité des relations avec les États-Unis.

Élu en juin 2016, Rodrigo Duterte va conduire une « guerre à la drogue » particulièrement violente, critiquée par les États-Unis, cette critique suscitant en retour des insultes de la part du président philippin. Si les relations militaires n’ont pas été totalement interrompues, le climat politique s’est refroidi ; on note toutefois un réamorçage depuis l’arrivée à la Maison-Blanche de Donald Trump puis de Joe Biden puis l’élection de Bongbong Marco en juin 2022. Ce réchauffement s’est traduit par le déploiement sur place, durant les exercices annuels « Balikatan » en avril 2024, d’une batterie antinavire Typhon de l’US Army, ce qui constituait le premier déploiement dans le pays pour une Multidomain task force (MDTF).

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