Alors que l’on assiste depuis 2022 à un bouleversement des rapports de force sur la scène internationale, que la guerre est de retour sur le sol européen, que l’Union européenne (UE), qui se cherche une place, est aujourd’hui coincée entre l’incertitude américaine et la menace russe, et que les principales puissances européennes sont affaiblies, quel regard porte la Corée du Sud sur la situation de l’UE ? Comment Séoul voit-elle l’avenir de ses relations avec l’Europe des 27 ?
Aujourd’hui, la guerre en Ukraine, la compétition géopolitique, les flux migratoires et les défis environnementaux constituent autant de nouvelles épreuves pour nous tous. Je pense que l’Europe, en particulier, est confrontée à deux grands défis : premièrement, la définition d’une position autonome face aux rivalités stratégiques des grandes puissances et la préservation de sa compétitivité. Deuxièmement, le maintien de l’unité et de l’efficacité de l’UE en tant qu’entité unique. Il est clair que l’UE tente aujourd’hui de trouver ses propres réponses face à ces défis.
La Corée est un partenaire clé de l’UE, partageant des valeurs fondamentales telles que la liberté, les droits de l’homme et la démocratie. Nous avons établi un partenariat stratégique en 2010, et la Corée est le premier pays à avoir signé trois accords majeurs avec l’UE : l’Accord-cadre, l’Accord de libre-échange et l’Accord établissant un cadre pour la participation de la Corée aux opérations de crises menées par l’UE. Sur cette base, nous avons développé une coopération globale couvrant les domaines politique, économique et sécuritaire.
Par ailleurs, les récents développements, notamment l’envoi de soldats nord-coréens en Russie, nous rappellent que la sécurité de l’Europe et celle de l’Asie sont étroitement liées. Il est donc désormais essentiel d’élever la coopération stratégique à un niveau plus global, englobant tous les secteurs.
À cet égard, lors de la visite en Corée du Haut Représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, Josep Borrell, en novembre 2024, nous avons lancé un dialogue stratégique entre ministres des Affaires étrangères et adopté un partenariat en matière de sécurité et de défense. Cette initiative a posé les bases d’une coopération renforcée face aux nouveaux défis sécuritaires, notamment la cybersécurité, la lutte contre la désinformation et la sécurité spatiale, en plus des échanges sur des questions majeures telles que la situation en Ukraine et la péninsule coréenne.
En 2023, nous avons célébré le 60e anniversaire des relations diplomatiques entre la Corée et l’UE. Dans la culture asiatique, l’anniversaire des 60 ans symbolise la fin d’un cycle et le début d’un nouveau. Je forme le vœu que, sur la base de notre histoire commune, nous puissions surmonter ensemble les défis actuels et élargir encore le champ de notre coopération stratégique, pour ouvrir un nouveau chapitre des relations entre la Corée et l’Europe.
En 2026, la Corée du Sud va célébrer un autre anniversaire, celui du 140e anniversaire de l’établissement des relations bilatérales avec la France. Si Paris et Séoul ont développé un dialogue stratégique depuis 2016, dans quelle mesure ces deux puissances de l’Indo-Pacifique, attachées chacune à l’autonomie stratégique, peuvent-elles développer leur coopération, notamment sur les sujets diplomatiques et de défense ?
La France est une puissance mondiale, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, et un acteur clé au sein l’UE. De son côté, la Corée s’est imposée comme un acteur majeur de la région indo-pacifique, se classant au 6e rang mondial pour les exportations, au 12e pour le PIB et au 5e pour la puissance militaire. Forts de ces atouts respectifs, nos deux pays peuvent conjuguer leurs forces pour contribuer ensemble à la paix et à la sécurité mondiales.
La Corée a récemment renforcé ses liens avec ses partenaires régionaux à travers le premier sommet Corée-États insulaires du Pacifique en 2023 et le premier sommet Corée-Afrique en 2024. Dans ce contexte, la position historique de la France dans ces régions ouvre des perspectives prometteuses pour renforcer la coopération bilatérale et créer des synergies positives.
L’Indo-Pacifique est aujourd’hui un espace clé de coopération entre la Corée et la France. La Corée a dévoilé en décembre 2022 sa première stratégie globale pour l’Indo-Pacifique. Implantée dans la région à travers ses territoires, la France a été, quant à elle, la première nation européenne à adopter une stratégie indo-pacifique. Dans ce cadre, les deux pays ont lancé en octobre 2024 le Dialogue sur l’Indo-Pacifique, ouvrant ainsi des discussions sur des défis majeurs de la région tels que le changement climatique, la santé et la coopération au développement. Ces enjeux restent aujourd’hui au cœur des échanges entre les deux nations, qui poursuivent leur réflexion pour y apporter des réponses conjointes.
De plus, la sécurité européenne et asiatique étant interconnectées, il est crucial que nos deux pays collaborent pour la stabilité de l’Indo-Pacifique. Nous devons ainsi identifier des domaines de coopération concrets, notamment en matière de sécurité maritime et d’industrie de la défense, tout en instaurant un cadre institutionnel pour renforcer nos relations diplomatiques et militaires.