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US Marine Corps : le remplacement du LAV-25

Introduit en 1983 dans le rôle de véhicule blindé de reconnaissance légère, le LAV-25 atteindra la fin de sa durée de vie au milieu des années 2030, après de nombreuses opérations à son actif avec les unités de l’US Marine Corps et, plus récemment, de certaines unités parachutistes de l’US Army. L’USMC et l’Office of Naval Research étudient depuis 2016 son remplacement par l’Advanced Reconnaissance Vehicle (ARV), un programme d’étude visant à mettre au point un nouveau blindé de reconnaissance dont les capacités devront être en phase avec les besoins actuels et futurs du champ de bataille.

Le LAV-25A3

La flotte actuelle de LAV‑25, qui compte 893 véhicules, fut portée au standard A2 au milieu des années 2000 avec un blindage renforcé protégeant ses occupants de tout calibre jusqu’au 14,5 mm, une suspension améliorée, un nouveau système anti-­incendie et une optronique thermique pour le chef de bord et le canonnier. En janvier 2019, General Dynamics Land System Canada a obtenu un nouveau contrat de modernisation, le Light Armored Vehicle Reset Program, portant sur 60 exemplaires dont la durée de vie doit dépasser l’horizon 2030. Le Reset Program porte sur la direction, le bloc moteur dont il doit améliorer le refroidissement, la consommation, le diagnostic de pannes et la fiabilité générale, une nouvelle transmission accroissant la capacité de tractage, ainsi qu’un générateur plus puissant destiné à doubler la capacité électrique du véhicule (utile notamment pour la tourelle et l’alimentation de canaux Ethernet, vidéo et fibre optique supplémentaires). Le poste de pilotage doit aussi recevoir un nouveau tableau de bord numérique. Désignés LAV‑25A3, ces nouveaux blindés seront prioritairement attribués aux bataillons d’active à partir du second trimestre 2021. Ce programme ne concerne qu’un faible pourcentage des LAV‑25 actuellement en service, mais rien n’indique que d’autres tranches d’acquisition ne seront pas signées en fonction des besoins pour maintenir le taux de disponibilité en attendant l’arrivée de l’ARV.

Transformer la reconnaissance blindée

Si le LAV‑25 s’inscrivait dans la doctrine Maneuver Warfare adoptée par l’USMC dans les années 1980, à travers laquelle l’adversaire doit être vaincu par la rapidité de manœuvre et la mobilité plus que par une puissance de feu supérieure, le futur ARV répond à une vision dont l’évolution est liée aux technologies qui émergent aujourd’hui. Cette vision inclut le combat multidomaine, la capacité d’agrégation et de désagrégation des forces, l’imbrication d’éléments inhabités et habités, autonomes et semi-­autonomes, combinés à l’apparition de nouvelles tactiques telles que le combat en essaim ou à l’utilisation de munitions rôdeuses en lieu et place des mortiers. Tout cela va nécessiter une transformation des unités et des matériels pour donner une nouvelle forme à la conduite des opérations.

L’ARV devra non seulement assurer la protection des Marines engagés en avant du dispositif amphibie, mais également leur apporter de nouvelles capacités pour conserver un avantage face aux menaces du futur. L’ARV doit ainsi permettre de traiter un spectre de menaces plus lourdes, qui étaient attribuées jusqu’alors à des systèmes d’armes plus puissants que le LAV‑25. Les liens voix/données et la transmission de flux vidéo seront au cœur de cette transformation pour s’intégrer dans le réseau coopératif de l’US Navy à travers ses technologies de ciblage tactique.

Un autre pilier du programme, qui doit encore mûrir, concerne l’accueil et le déploiement de drones, de robots, des technologies d’intelligence artificielle et de réalité augmentée, qui permettront aux Marines de détecter et d’identifier des cibles à des distances plus grandes qu’aujourd’hui. Les suites de capteurs envisagées pour l’ARV, qui sera avant tout un véhicule de reconnaissance, devront permettre de détecter, d’identifier et d’acquérir des armes et des cibles à travers des obscurants (pneus enflammés, fumigènes, brouillard), au-delà de la portée des armes adverses et au-delà de la ligne d’horizon en recoupant les données des capteurs embarqués et celles des drones terrestres et aériens organiques au véhicule. Une autre capacité à ne pas négliger concerne la transmission et le traitement des données pour recevoir et envoyer des flux d’informations entre le véhicule, l’équipage, les Marines débarqués, les autres ARV, le commandement et les moyens aériens, terrestres ou navals engagés dans une opération. Pour ce faire, la sensibilité des capteurs et la bande passante disponible au sein de la vétronique constituent deux paramètres d’importance.

Une architecture ouverte

Le LAV‑25 pesant 12,7 t, l’USMC recherche un véhicule léger, armé d’un canon de 30 mm plus puissant que le M‑242 Bushmaster de 25 mm dont le LAV‑25 est équipé, embarquant des capteurs plus avancés, avec des systèmes C4ISR afin de pouvoir opérer en environnement réseaucentré et intégrant des drones terrestres et aériens, ainsi que divers systèmes robotisés. D’autre part, la protection balistique devra être largement supérieure à celle du LAV‑25 : si ce dernier faisait majoritairement face à des armes de 14,5 mm telles que la mitrailleuse russe KPV, le futur ARV sera vraisemblablement confronté à des véhicules armés de canons de 30 mm tels que le Shipunov 2A42 qui équipe notamment les véhicules Bumerang russes. La protection est envisagée à 360°, avec différents dispositifs externes sur le pourtour du véhicule, ainsi que sous le châssis et sur le toit. Des sièges anti-­IED et un revêtement intérieur complètent la protection passive, que l’USMC envisage comme un ensemble modulaire et modernisable qui doit permettre de défaire les roquettes, missiles antichars et les munitions guidées de précision. Les progrès effectués dans le domaine du blindage seront mis à contribution pour accroître le niveau de protection de l’ARV tout en maintenant sa masse et ses dimensions à un niveau proche de celui du LAV-25 (avec toutefois un châssis, une direction, une transmission et une suspension capables de supporter un gain de poids ultérieur de 25 % pour anticiper de futures modernisations), afin d’être aérotransportable par C‑130 et C‑17, et héliportable sous élingue par les hélicoptères lourds de l’USMC. Cela devra aussi permettre à l’US Navy de respecter son contrat opérationnel avec un certain nombre de véhicules par bâtiment, un paramètre au sujet duquel des problèmes avaient été rencontrés avec les MRAP, trop lourds. Réviser la conception permettra aussi d’intégrer en standard des systèmes de protection active, aujourd’hui impossibles à installer sur le LAV‑25A2.

Comme son prédécesseur, l’ARV sera pleinement amphibie avec des capacités semblables en franchissement et embarquable par le Ship to Shore Connector, le futur aéroglisseur de l’US Navy. L’armement de l’ARV se veut totalement téléopéré, mitrailleuse comprise, avec une conception permettant l’intégration future de systèmes d’armes de plus gros calibre tels que le 40 mm ou d’autres systèmes encore inexistants.

Deux prototypes pour 2020

En 2019, l’Office of Naval Research a attribué deux contrats de recherche et développement pour la conception, la construction et les tests de deux démonstrateurs différents dans le cadre du programme ARV. Le premier, confié à General Dynamics, porte sur une plate-­forme relativement proche du LAV‑25, sur laquelle seront intégrées les dernières technologies disponibles dans tous les domaines, en suivant l’idée d’une plate-­forme évolutive qui sera modernisée par la suite avec des technologies et des sous-­systèmes encore à l’état de concepts, qui seront validés entre-­temps par le second démonstrateur. Ce dernier doit être construit par Science Applications Internation Corporation (SAIC) et bien qu’il soit prévu pour être totalement opérationnel, il ne sera pas censé offrir la durabilité des véhicules affectés en unités. Son rôle sera uniquement de valider l’intégration et l’utilisation de technologies, tant en simulation qu’en opération réelle, avant de les lancer en production pour atteindre leur pleine capacité opérationnelle.

Ces technologies concernent un large spectre de domaines : la distribution de données et l’alimentation électrique devront être protégées contre les cyberattaques, avec un générateur produisant 25 % d’énergie supplémentaire par rapport à la consommation réelle du véhicule. Quant aux câblages de distribution et autres infrastructures électriques, ils seront prévus pour supporter un futur générateur deux fois plus puissant afin de permettre la modernisation du véhicule durant les dix premières années qui suivront son introduction dans les unités. Cette logique concerne aussi les circuits de transmission et de traitement de données ainsi que la mémoire de stockage, car il est prévu de mettre à jour les circuits d’échanges voix/données, de flux vidéo et les interfaces de pilotage de drones tous les quatre ans. L’architecture électronique, modulaire, devra permettre l’intégration de technologies émergentes et de packages de mission taillés sur mesure selon des profils qui restent, encore aujourd’hui, à définir. Enfin, Kongsberg a été choisi par SAIC pour développer et produire la future tourelle de l’ARV. L’industriel norvégien étudie une tourelle plus légère et plus létale que celle du M‑1126 Stryker, qu’il fournit déjà à l’US Army.

Ces deux démonstrateurs doivent être prêts pour évaluation par les unités à la fin de l’année 2020, avec une phase de tests à entamer à partir de 2023. L’enveloppe d’acquisition envisagée pour l’ARV de General Dynamics porte sur 500 exemplaires avec un coût unitaire de six millions de dollars et une capacité opérationnelle initiale prévue pour 2027. En revanche, aucune date n’a encore été définie pour la capacité initiale du démonstrateur de SAIC, ni de coût unitaire à ne pas dépasser. C’est un projet de recherche visant à repousser les limites technologiques actuelles, seuls le poids et la taille du véhicule devant être équivalents à ceux de l’ARV de base développé par General Dynamics. En ce qui concerne les sous-systèmes et technologies complémentaires, l’Office of Naval Research investit également auprès de quatre industriels dans divers secteurs : Battelle pour les systèmes de cybersécurité, Cougar Software pour la gestion de la logistique, QinetiQ pour la mobilité et SRI International pour les drones aériens.

L’avènement de la vétronique

Équivalent de l’avionique des aéronefs, la vétronique recouvre l’électronique et l’informatique embarquée dans les véhicules terrestres. Une composante de plus en plus lourde, volumineuse et consommatrice d’énergie à mesure que les technologies numériques prennent de l’importance dans la conduite des opérations. Les standards Vehicular Integration for C4ISR/EW Interoperability (VICTORY), créés en 2010, visent à homogénéiser les matériels développés en matière de vétronique, et l’US Army et l’USMC invitent les industriels de défense à se rassembler autour de ceux-ci pour travailler ensemble afin de faciliter l’inter-opérabilité matérielle et logicielle lorsqu’un programme d’équipement concerne différentes entreprises et de lutter contre la prolifération de technologies propriétaires. Le groupe de travail VICTORY œuvre dans trois principaux domaines : les systèmes tactiques, les capacités réseaucentrées et la logistique des véhicules.

L’ARV, qui inclut une forte composante C4ISR ainsi qu’une marge de développement pour agir comme un drone terrestre semi-­autonome une fois les Marines débarqués, devra répondre à ces standards. Les capacités étudiées à travers l’ARV sont nombreuses et incluent l’aptitude à adopter des comportements spécifiques à un profil de mission en utilisant les données produites par différents capteurs ; la possibilité de coordonner des actions autonomes au sein d’un groupe hétérogène de systèmes habités et inhabités ; la mise en œuvre d’un drone aérien à longue portée, organique au véhicule ; l’aptitude à contrôler des tirs à distance ainsi qu’à faire manœuvrer les différents véhicules d’un groupe d’ARV pour mieux couvrir une zone d’opérations, à raccourcir la boucle décisionnelle, à accroître la létalité ainsi que la précision d’une unité, à feindre des intentions amicales en servant de leurre et à signaler le risque de détection aux équipages d’ARV en se basant sur leur signature. 

Les capacités de guerre électronique et cyber prennent également leur tribut en termes de puissance informatique avec les problématiques de processeurs, d’espace mémoire, d’alimentation électrique et de refroidissement de l’ensemble, a fortiori pour les engagements en zone aride ou équatoriale. Si les Marines ont parfois comparé l’ARV au F‑35 pour démontrer que c’est la vision tactique et opérative qui dicte la conception des matériels et non pas la seule nécessité de leur remplacement, le futur blindé de reconnaissance légère sera un véhicule de 5e génération dans lequel l’aspect logiciel deviendra un élément d’importance critique.

Légende de la photo en première page : L’ACV d’Iveco est proposé aux Marines, qui ont effectué leurs premières commandes, par l’intermédiaire de BAE Systems. Il pourrait constituer une des plates-formes de l’ARV. (© BAE Systems)

Article paru dans la revue DSI n°145, « Bombardiers russes : Quelle modernisation ? », janvier-février 2020.
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