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La militarisation de l’espace : quels enjeux pour aujourd’hui et demain ?

La doctrine est simple et très claire : les États-Unis dépendent des capacités spatiales, ils doivent donc connaitre précisément les menaces qui pèsent sur leurs satellites et être en mesure d’agir dans l’espace pour s’opposer à un adversaire potentiel pour les sécuriser. Il en découle des besoins en renseignement et en technologies pour maitriser le combat en orbite et dans les autres domaines qui contribuent à la mise en œuvre et au contrôle des satellites, au premier rang desquels le spectre électromagnétique et le cyberespace.

L’avance américaine est certaine, mais la Russie affiche une forte volonté d’accéder à ce niveau, sans avoir encore démontré tout l’éventail des capacités requises. La Chine, en revanche, conduit un effort soutenu depuis une dizaine d’années et ne devrait pas tarder à rejoindre les USA.

• Les semi-puissances

Elles disposent d’une autonomie d’accès à l’espace et de la majeure partie des capacités décrites précédemment, mais soit elles n’ont pas réalisé l’intégration des moyens spatiaux dans les opérations militaires traditionnelles, soit elles ne sont pas autonomes pour la protection de leurs systèmes spatiaux opérationnels. Souvent même, elles n’ont pas développé de doctrine relative à l’utilisation militaire du spatial et encore moins afférente aux opérations dans l’espace.

La Chine et la Russie figurent en tête de ce groupe de nations et rejoindront le camp des puissances totales à court terme pour la première, moyen terme pour la seconde.

L’Inde a déployé la majeure partie des capacités spatiales traditionnelles, mais malgré sa récente expérimentation de missile antisatellite, n’a pas encore démontré concrètement sa capacité à intégrer le spatial dans ses opérations militaires.

Israël a développé un lanceur dual et mis en orbite des satellites d’observation, d’écoute et de télécommunications militaires. Elle dépend néanmoins des États-Unis pour l’alerte et le PNT.

De son côté, la France figure en bonne place dans cette catégorie. Davantage par son effort doctrinal (publication de la Stratégie spatiale de défense en juillet 2019) que pour les capacités développées, qui restent très traditionnelles à ce jour. La nouvelle stratégie spatiale de défense française vise à accroître l’autonomie stratégique de la France dans l’espace en s’appuyant sur trois idées fondamentales :
> Renforcement des capacités actuelles de veille stratégique et d’appui aux opérations militaires (observation, écoute électromagnétique, télécommunications, positionnement-navigation, météorologie, géographie) ;
> Développement des capacités de connaissance de la situation spatiale (SSA) pour surveiller l’activité sur toutes les orbites ;
> Développement d’une capacité de défense spatiale.

Ainsi, « une impulsion supplémentaire sera donnée à cette ambition au-delà des 3,6 milliards d’euros déjà alloués au domaine spatial par la loi de programmation militaire (LPM 2019-2025).

Prioritaire dans cette stratégie, la SSA sera renforcée, sur Terre ainsi que dans l’espace, afin de mieux évaluer les menaces et caractériser l’activité observée (effort sur le renseignement spatial). Une première capacité de défense spatiale (depuis le sol comme dans l’espace) sera développée pour permettre aux forces armées d’imposer une utilisation pacifique de l’espace, de dissuader les actes hostiles ou agressifs contre les systèmes spatiaux nationaux, et être en mesure d’agir pour défendre les intérêts spatiaux français. »

La première réalisation concrète de cette nouvelle ambition a été la création du commandement de l’espace rattaché à l’armée de l’air, qui devient ainsi l’armée de l’air et de l’espace. Il est à noter que la France en intégrant l’espace à l’armée de l’air va moins loin que les États-Unis, qui ont fait de la Space Force une véritable composante séparée et indépendante.

Ailleurs en Europe, l’Allemagne est dotée de capacités intéressantes (observation, télécommunications, surveillance de l’espace) et a publié des éléments de stratégie spatiale en 2010. L’espace y est vu comme un instrument essentiel pour la réalisation d’objectifs économiques, scientifiques, politiques et sociaux, de même que pour les aspects de sécurité civile et militaire nationales. La stratégie appelle à une approche duale afin d’exploiter au mieux les synergies et de développer des compétences stratégiquement importantes dans les technologies clés.

<strong>Doctrine de la puissance spatiale selon l’US Space Force</strong>

Du côté de l’Italie, Rome a également développé des capacités spatiales militaires classiques en télécommunications et en observation mais reste en retrait sur le plan de la doctrine.

Il faut cependant noter une particularité européenne intéressante : si la France, l’Allemagne et l’Italie peuvent être considérées comme des semi-puissances spatiales, c’est aussi et surtout car elles ont accès à des capacités clés communes développées par l’Agence spatiale européenne et financées soit par les États, soit par l’Union européenne : ARIANE pour l’accès à l’espace, GALILEO pour le PNT, COPERNICUS pour l’observation, GOVSATCOM (à venir) pour les télécommunications, SST pour la surveillance de l’espace.

De façon réciproque, on peut également attribuer le rang de semi-puissance spatiale à l’Union européenne, car en plus des capacités propres détaillées ci-dessus, elle peut, par accords bilatéraux, accéder aux capacités souveraines des États européens dotés.

Enfin, le Japon a également décidé fin 2019 de créer une Force spatiale au sein de son armée de l’air, la première unité a été formée en mai 2020 et sera dotée d’un premier budget autonome.

• Les puissances spatiales débutantes

On peut en distinguer deux types : 
> celles qui, par choix ou par limitation technologique, n’ont développé que quelques capacités spatiales, en général civiles ou duales, et sont souvent dépendantes d’une puissance spatiale avérée. C’est le cas notamment de la Grande-Bretagne, du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. L’Égypte, le Brésil, le Pérou, l’Algérie, l’Éthiopie et le Maroc rentrent également dans cette catégorie. Je ferai une mention particulière pour les Émirats arabes unis, qui affichent une politique spatiale particulièrement ambitieuse ;
> celles qui n’investissent que dans les capacités militaires mais qui n’ont pas encore de système de lancement vraiment opérationnel : Iran, Corée du Nord.

Néanmoins, l’avènement du New Space bouleverse quelque peu ce paysage, car de nouveaux acteurs peuvent acquérir des satellites et les faire positionner en orbite par des opérateurs commerciaux. Et compte tenu du manque de transparence actuel de ces activités, il est possible que certains des centaines de petits satellites en orbite aient des applications militaires, même dégradées.

Ce contexte particulièrement évolutif présente des risques certains pour la poursuite d’activités spatiales en toute sécurité. Le fonctionnement même de la société pourrait en être impacté. Prédire l’avenir est toujours risqué mais l’anticipation des problèmes futurs est plus que jamais nécessaire pour s’y préparer et préparer les parades adéquates.

Quel avenir ?

Le spatial militaire doit évoluer. D’une fonction principale de soutien aux activités de sécurité sur Terre, il doit maintenant passer à une mission de sécurité des activités dans l’espace. Ce n’est pas une réaffectation des moyens mais un besoin en moyens complémentaires, car il est maintenant reconnu par tous que les applications traditionnelles de l’espace pour la société et les opérations militaires sont indispensables et irremplaçables à coût équivalent par des capacités terrestres, maritimes ou aériennes. Il faut donc pourvoir à leur renouvellement et investir dans leur sécurité et leur protection.

Si plusieurs situations sont susceptibles de survenir à moyen terme, elles dépendent de tellement de facteurs diplomatiques et géopolitiques qu’il est impossible d’en apprécier la probabilité. Nous nous limiterons donc à une description sommaire de celles qui nous semblent chacune à une extrémité du spectre des possibles :

• Situation 1 : Accord diplomatique international de régulation des activités spatiales

La multiplication des lancements en grappe de petits satellites et de nanosatellites, pour la plupart incontrôlés par les opérateurs et indétectables par les moyens de surveillance actuels, provoquera de plus en plus d’incidents avec des satellites opérationnels, à l’instar de celui de septembre 2019 entre un satellite Starlink de SpaceX et le satellite Aeolus de l’ESA.

La poursuite de la prolifération des débris spatiaux deviendra très préoccupante et provoquera également des incidents de plus en plus fréquents.

En conséquence, l’initiative américaine de Space Traffic Management (STM) sera modifiée pour être acceptée par la communauté internationale. Des règles de comportement et de transparence dans l’espace seront établies et adoptées par toutes les puissances spatiales. Les actions agressives et destructrices dans l’espace seront prohibées et un service international de sécurité spatiale sera créé, sous l’égide de l’UN COPUOS (United Nations Committee on the Peaceful Uses of Outer Space) afin de surveiller le respect des accords et des règles.

• Situation 2 : Déploiement d’armes antisatellites sur Terre et dans l’espace

La création de la Space Force par les États-Unis et d’un organisme semblable par le Japon et la France, ainsi que de multiples essais d’armes antisatellites depuis la Terre ou dans l’espace, ont confirmé que l’espace extra-atmosphérique deviendra, à moyen terme, le nouveau domaine de lutte armée pour la préservation des intérêts stratégiques des grandes puissances spatiales. C’est pourquoi les principales puissances se doteront de moyens d’action défensifs et offensifs.

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