Chaque crise sur Terre sera l’occasion d’employer ces capacités pour amoindrir le soutien spatial de l’adversaire et donc sa capacité d’analyse autonome de situation et d’action. Dans la mesure du possible, ces moyens ne produiront pas de nouveaux débris mais mettront hors de service des capacités essentielles : brouillage des télécommunications, aveuglement des satellites d’observation, déception des systèmes de PNT…).
À l’instar des domaines traditionnels de lutte, l’espace sera ainsi le théâtre de batailles entre objets spatiaux offensifs et défensifs. Même si elle en manifeste aujourd’hui la volonté, aucune nation ne pourra rester à l’écart de ces combats, que ce soit pour en évaluer l’ampleur et les risques ou en éviter les effets collatéraux.
Il est à craindre qu’une fois la boîte de Pandore ouverte — et elle l’est peut-être déjà —, on n’entre dans une guerre spatiale généralisée.
• Situation 3 : un scénario intermédiaire
Entre un scénario pacifique mais probablement utopique et une situation belliciste et exagérément pessimiste, la vérité sera certainement intermédiaire.
Il est néanmoins certain que, quelle que soit la situation future, une puissance spatiale du XXIe siècle digne de ce nom devra développer des moyens autonomes de connaissance et d’analyse de la situation spatiale. Ensuite, en fonction de la criticité et des risques encourus, elle devra être en mesure de dissuader les actions hostiles ou les dégâts collatéraux potentiels contre ses moyens en orbite. Les principales puissances spatiales contemporaines ont déjà entrepris le travail doctrinal correspondant à cette nouvelle posture et initié les travaux organiques correspondants afin d’être prêtes à toute éventualité.
Le monde contemporain se caractérise par une grande instabilité des relations entre les États et une très forte évolutivité des situations géostratégiques. Malgré, fort heureusement, peu de conflits armés de grande envergure et aucun entre les grandes puissances, les affrontements politiques, idéologiques, et économiques sont permanents. L’espace, malheureusement, est à la fois un symbole, un enjeu et un vecteur de ces rivalités. Nous devons nous y préparer et envisager dès maintenant les systèmes et les procédures qui nous permettront de gérer ce type de crise avec le moins de dégâts possible, à l’échelle française ou européenne.
Ce scénario, certes vraisemblable, est à prendre comme simple exemple, sans préjuger des intentions réelles des différents pays concernés.
Le contexte
Crise politique et sociale dans un pays de l’Est européen. Le président L., réélu dans des conditions discutables, est fragilisé et menacé par un fort soutien populaire à l’opposition.
Les pays occidentaux ne reconnaissent pas la réélection de L. et demandent son départ. La Russie souhaite l’arrêt des manifestations et le maintien au pouvoir d’un allié sûr. Des paramilitaires russes, en soutien des forces de police contre les manifestants, ont été vus dans la capitale.
Les évènements
Les États-Unis signalent à l’OTAN :
> l’arrivée de forces spéciales russes sur un aérodrome frontalier ;
> la mise en mouvement d’une unité antisatellite des forces aérospatiales russes vers la zone d’intérêt.
Quelques jours après :
> plusieurs satellites de communication et SIGINT de l’OTAN et de pays membres de l’OTAN sont perturbés, et rendent compte de brouillages réguliers ;
> tous les satellites d’observation optique, militaires et commerciaux des pays de l’OTAN sont illuminés par des lasers de moyenne puissance qui, sans être destructifs, empêchent l’acquisition d’images de haute résolution sur la zone d’intérêt.
L’US Space Force indique à ses alliés que :
> plusieurs objets spatiaux, pour l’instant non identifiés, se sont mis en mouvement en orbite ;
> l’unité russe de missiles antisatellites a été mise en alerte.
La France confirme les mouvements suspects.
Les unités de l’OTAN basées dans les pays environnants reportent une forte augmentation des brouillages des signaux GPS et Galileo.
L’OTAN et les États-Unis demandent la convocation du Conseil de sécurité de l’ONU et émettent des protestations officielles vers la Russie.
Les États-Unis déstockent leurs missiles ASAT, les déploient sur une base aérienne et mettent en mouvement trois de leurs satellites antisatellites en orbite géostationnaire, en ciblant trois satellites russes télécommunications, alerte, SIGINT. Cette action est accompagnée d’un ultimatum vers la Russie.
Sans préjuger d’une fin pacifique de ce scénario, nous pouvons néanmoins en tirer plusieurs commentaires :
> le déni d’accès à des capacités spatiales est plausible et perturbateur du processus de prise de décision politique et diplomatique d’un pays souverain — les capacités nécessaires sont aujourd’hui techniquement accessibles et certainement déjà développées par certains ;
> l’élaboration de la situation spatiale et son analyse sont aujourd’hui deux capacités indispensables à un pays souverain ;
> à terme, la capacité de dissuasion spatiale fondée sur des moyens d’action sera nécessaire ;
> le processus décisionnel de commandement des opérations spatiales devra être rapide et réactif afin de minimiser les effets d’actions hostiles.
Note
(1) Président Trump, « We are going to have the Air Force, and we are going to have the Space Force — separate but equal », National Space Council Press Conference, 18 juin 2018.