L’espace saharien a été marqué par l’organisation progressive de réseaux commerciaux jalonnés d’oasis, étapes sur les différents itinéraires entre l’Afrique subsaharienne et les grandes capitales du Maghreb. En Algérie, au Maroc et en Tunisie, elles couvrent une superficie d’environ 184 000 hectares et abritent une population estimée à 5 millions d’habitants. De nombreuses pressions pèsent sur leur devenir et conduisent à se poser la question de leur durabilité. L’Adrar, dans le sud-ouest de l’Algérie, est un cas d’école pour la gestion de l’eau et l’agriculture oasienne.
Le principal risque est constitué par la diminution des ressources en eau, due essentiellement à la surexploitation des nappes aquifères par la multiplication incontrôlée des pompages et à l’utilisation de nappes fossiles pour créer des plantations de palmiers dattiers intensives. D’autres causes, liées au milieu physique, peuvent également contribuer au déclin des espaces oasiens (1) et affecter leur durabilité, en particulier l’ensablement et la salinisation des sols. Deux autres éléments s’y ajoutent : les rapports de pouvoirs entre catégories sociales et la dynamique de l’accès à la ressource naturelle qui n’est plus la même depuis les indépendances au Maghreb. L’introduction de l’administration au service d’une politique de développement centralisé et le recul des structures locales coutumières de gouvernance en sont les formes les plus remarquables.
Transformation d’oasis menacées
En Algérie, la société oasienne a connu des changements dus principalement à son ouverture sur le monde extérieur et à l’amélioration de la connexion entre les régions nord du littoral et celles du sud saharien. Le flux des cadres techniques travaillant dans l’administration et les champs de pétrole a permis une mixité sociale qui a atténué la ségrégation, particulièrement entre ceux qui détenaient la propriété de l’eau et de la terre (les nobles chorfas) et ceux qui travaillaient chez ces derniers (les khammès). De plus, l’accès à la scolarisation et à l’emploi dans le tertiaire, facilité par les efforts de l’État, a démonopolisé le travail dans un secteur agricole déjà en crise. La division de la propriété agricole en plusieurs petites parcelles entre héritiers a contribué à la régression de l’agriculture. Cela affecte aussi l’espace d’habitat traditionnel ksourien, qui voit son contenu social glisser vers les nouvelles extensions urbaines plus confortables et plus accessibles aux différentes commodités : alimentation en eau potable, électricité, assainissement, routes, téléphone, etc. La mobilité résidentielle est à l’origine d’un délaissement du tissu ksourien qui, malgré les tentatives de restauration, n’arrive plus à récupérer ses anciens habitants. Ainsi, le déclin du système de réseau hydraulique en galeries souterraines (foggaras) et, bien entendu, celui de l’agriculture oasienne tout entière, se limitent non seulement aux problèmes naturels et environnementaux, mais aussi plus particulièrement à cette fragmentation de la société oasienne.
La combinaison de ces facteurs a évolué différemment dans la wilaya d’Adrar et plusieurs questions se posent : le système hydraulique multiséculaire est-il encore d’actualité ? Comment le passage d’une agriculture traditionnelle à une agriculture moderne se présente-t-il ? Quelles sont les politiques de développement territorial entreprises par l’État dans l’Adrar ?
La wilaya d’Adrar s’étend sur la partie nord du sud-ouest de l’Algérie, couvrant une superficie de 427 968 kilomètres carrés, soit 17,97 % du territoire national. Elle compte 11 dairas et 28 communes. L’examen de sa topographie révèle un chapelet d’oasis, en forme d’arc de cercle, qui s’étend du Grand Erg occidental au Grand Erg oriental. Au pied du plateau du Tademaït se succèdent ainsi les palmeraies, constituant une seule région saharienne dénommée « Archipel touatien », dont la similitude des caractères physiques, économiques et humains est concrétisée par son système de foggaras. La population est estimée à 320 390 habitants en 2008, soit 0,75 % habitant au kilomètre carré, répartie dans 294 ksour (localités) éparpillés au niveau de trois régions : le Gourara (ville de Timimoun), le Touat (cf. carte ci-dessous) et le Tidikelt. La topographie de la zone d’étude présente une morphologie variée constituée par les ergs, le plateau du Tademaït et la vallée du Touat parsemée par des sebkhas (dépressions). À l’exception des oasis et des aires de cultures, les sols sont squelettiques. L’essentiel de la végétation se concentre au niveau des nombreuses palmeraies des différents ksour de la région.
Un système hydraulique multiséculaire voué à disparaître
Basé sur le captage et la canalisation des eaux, le système traditionnel oasien s’est installé dans les aires périphériques du Grand Erg occidental. Compensant une pluviosité faible, les acteurs locaux ont capté l’eau des nappes profondes pour irriguer leurs palmeraies et alimenter leurs ksour en eau potable. Pour cela, ils ont mis en place des foggaras, illustration originale d’ingénieuses techniques, certes traditionnelles et de création humaine, à travers lesquelles l’homme saharien a pu domestiquer la nature et a fait de l’espace désertique du Sahara un milieu dynamique.
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L’eau de la foggara provient essentiellement de la nappe dite du Continental intercalaire, située entre Touggourt dans le nord, In Amenas dans le sud, Timimoun à l’ouest et la frontière tunisienne à l’est. Elle fait partie du grand réservoir d’eau douce du Sahara septentrional, qui s’étend sur 600 000 kilomètres carrés. Si cette ressource faiblement renouvelable (voire fossile) est gérée de façon rationnelle et équitable, le problème de la disponibilité en eau à moyen terme ne se posera pas. Avant l’achèvement de la foggara, les personnes ayant participé à sa réalisation, soit par leurs capitaux, soit par leurs efforts de travail, procèdent à une première répartition, où chacun reçoit la quantité d’eau réelle qui est proportionnelle à l’effort fourni durant la construction ou l’entretien de la foggara. Le partage est consigné dans un écrit spécial appelé « Zemmam ». Mais une série de problèmes se sont conjugués, faisant que la survie de la foggara s’amenuise et que son déclin approche inéluctablement. Nombreuses sont les foggaras asséchées, ce qui sous-entend un déficit d’alimentation des palmeraies vouées par conséquent à disparaître.