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L’aérien, un vecteur de soft power ?

Les chocs pétroliers des années 1970 cumulés à la multiplication de la concurrence sur le marché intérieur ont considérablement impacté la Pan Am et marqué le début de son déclin. Le coup de grâce fut donné par l’attentat de Lockerbie en 1988 : sur le trajet entre Londres et New York, un Boeing 747 de la Pan Am a explosé en plein vol au-dessus de l’Écosse. Après ces évènements, la clientèle est devenue frileuse à l’idée de remonter dans un des avions de la Pan Am, le bras civil américain était devenu une cible. Reprise après reprise du groupe, le gouvernement s’est progressivement retiré de Pan Am, et la compagnie a perdu son monopole jusqu’à cesser toute activité en 1991.

Historiquement, Air France constitue la vitrine de la France à l’étranger. Comment cela se traduit-il ? Cela pousse-t-il le gouvernement français à protéger cette compagnie ?

En dépit du phénomène de privatisation, l’État français reste un des actionnaires d’Air France-KLM et la compagnie conserve son statut d’intérêt national. Néanmoins, en termes de passagers ou de capitalisation, elle est en perte de vitesse face à des géants comme Ryanair ou Lufthansa. La véritable question est de savoir si l’État français sauvera indéfiniment Air France, comme il l’a déjà fait en la recapitalisant en 1994, en 2018 ou en 2021 après la pandémie mondiale. La seconde possibilité pour protéger Air France est de limiter la concurrence au sein des hubs français, comme à Roissy, afin qu’elle conserve sa position dominante sur les créneaux aéroportuaires. Malgré cette protection, quand le gouvernement français injecte 9 milliards d’euros dans la compagnie en 2021, la Commission européenne demande en contrepartie la cession de créneaux aéroportuaires à Vueling. Ce transfert a fait naître la crainte que l’aéroport d’Orly ne devienne un repaire pour cette compagnie européenne low cost, filiale d’IAG (International Airlines Group, né de la fusion de Bristish Airways et Iberia), hors du giron d’Air France.

Si sa santé économique est fragile, Air France n’a cessé de miser sur l’imaginaire français pour continuer d’attirer les passagers. Dans ses vidéos promotionnelles, les grands noms du luxe français, comme Guerlain ou Jean-Paul Gaultier, sont réinvestis. Le luxe à la française reste un atout pour attirer les passagers en classe business ou en première classe — elle est d’ailleurs l’une des seules compagnies en Europe à conserver une première classe. Face à la concurrence accrue, Air France, comme bien d’autres, doit relever un double challenge : conserver son identité tout en rivalisant avec les low cost sur le marché intra-européen ou avec Turkish Airlines et les compagnies du Golfe sur les long-courriers.

Alors que Dubaï était en 2020, pour la sixième année consécutive le premier hub au monde en nombre de passagers internationaux, comment les compagnies aériennes du Golfe, Emirates, Etihad Airways et Qatar Airways, ont-elles participé au rayonnement international des monarchies de la région ?

L’arrimage est total entre les familles régnantes du golfe Arabo-Persique et les compagnies aériennes. En termes de soft power, une compagnie aérienne du Golfe tient le même rôle qu’un média comme Al Jazeera. Ces monarchies créent un système aéronautique et aérien intégré en contrôlant des plates-formes aéroportuaires et des compagnies aériennes. Emirates en 1985, Qatar Airways en 1993 ou Etihad Airways en 2003, toutes naissent sous la forme de holdings et restent dans les mains des familles régnantes. Si au début du siècle des liaisons fleurissaient tous azimuts, l’heure est à présent à la rationalisation des liaisons avec des stratégies plus précises. La compagnie Emirates investit par exemple dans une stratégie de « hub forteresse » à Dubaï et tend à nationaliser les postes clés en formant une élite locale pour remplacer progressivement les cadres britanniques des structures.

En matière de géopolitique, quand les compagnies sont arrimées à leur État et qu’il faut démontrer une forme de puissance, le droit de vol devient alors une arme. L’embargo imposé par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn sur Qatar Airways entre 2017 et 2021 obligeait à contourner l’espace aérien du Qatar. Mais, très vite, le surcoût du kérosène, l’allongement des temps de vol et l’absence de Riyad dans les destinations ont forcé ces pays à y mettre un terme. Plus récemment, la crise sanitaire a durement affaibli tous les aéroports du Golfe. La plupart sont fortement marqués par le trafic international, celui qui a le plus pâti des mesures de confinement pendant la pandémie. Si celui de Dubaï était par le passé le premier hub en termes de passagers internationaux, il a perdu ce titre en août 2021 au profit d’Amsterdam. La pandémie a redistribué les cartes du jeu aérien, et si Dubaï peut retrouver sa place un jour, personne n’est capable d’en prédire l’échéance.

Comment les compagnies aériennes européennes parviennent-elles à mener une stratégie commune pour faire face à la montée en puissance de nouveaux acteurs ?

Selon les données les plus récentes et à la vue de la crise sanitaire, la Commission européenne vient de valider l’accord de ciel ouvert (open skies) avec le Qatar. En d’autres termes, Qatar Airways aura la possibilité de desservir sans restrictions n’importe quel aéroport européen. Auparavant, le nombre de liaisons était contingenté par les États et reposait sur des accords bilatéraux. Cet accord est violemment combattu par les syndicats d’Air France ou de Lufthansa. Pour les compagnies européennes, c’est bien le signe d’une concurrence accrue, mais le fiasco de Notre-Dame-des-Landes à Nantes ou celui de Brandebourg à Berlin illustrent la difficulté éprouvée à investir dans des infrastructures aéroportuaires dont l’acceptabilité sociale a fortement décru auprès des populations riveraines.

En mars 2020, Ethiopian Airlines assurait l’essentiel du pont aérien intra-africain pour acheminer les cargaisons de masques mis à disposition par le milliardaire chinois Jack Ma, dirigeant du groupe Alibaba. Est-ce un moyen pour elle d’affirmer sa position de première compagnie aérienne du continent africain ? Quelle est sa position à l’échelle de l’Afrique ?

La force du modèle d’Ethiopian Airlines repose sur sa capacité à maîtriser l’ensemble du processus : la compagnie comporte une division cargo, une division maintenance et réparation, une division ravitaillement (alimentaire et hydrocarbure). Dans l’un de ses derniers communiqués de presse, elle se targue d’être la plus grande compagnie aérienne panafricaine. En quelques chiffres, en 2020, l’aéroport d’Addis Abeba a vu transiter 500 000 tonnes de fret et 5,5 millions de passagers, le hub dessert 22 destinations domestiques et 123 destinations internationales, passagers et cargo. Bien que le projet semble aujourd’hui à l’arrêt, la compagnie souhaitait renforcer sa présence sur le continent en créant des filiales au Nigéria et au Ghana. Toutefois, c’est pendant la crise sanitaire qu’Ethiopian Airlines se démarque véritablement en acheminant plus 50 millions doses de vaccin vers 28 pays.

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