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La stratégie indo-pacifique de l’Union européenne au risque de la compétition Chine/États-Unis

Pour autant, un nombre limité d’États européens se révèlent disposés, sinon capables, de contribuer effectivement à la sécurité maritime de la région. Près de la moitié d’entre eux ont activement participé aux opérations de contre-piraterie organisées par la communauté internationale dès 2008 au large des côtes somaliennes, que ce soit sous le commandement de l’OTAN ou de l’UE (11). La France, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Espagne et la Belgique envisagent d’accroitre leur présence dans l’espace indo-pacifique en y détachant régulièrement des navires dans le cadre du concept européen de Présence maritime coordonnée (CMP) (12). L’UE maintient une présence navale constante et visible depuis plus de dix ans dans l’océan Indien à travers la mission Atalante dont le mandat initialement dédié à la contre-piraterie s’est élargi à la surveillance d’activités criminelles en mer, incluant les trafics d’armes, de drogues et la pêche illicite. L’UE finance des projets de renforcement des capacités maritimes régionales dont MASE (Maritime Security) et CRIMARIO (Critical Maritime Routes in the Indian Ocean) qui tout deux concourent à une meilleure connaissance de la situation maritime en favorisant le partage d’information et la coordination entre centres opérationnels reliant l’Indo-Pacifique. La préoccupation des États littoraux et insulaires pour la protection de leur économie bleue et l’exploitation durable des océans, notamment dans l’Ouest de l’océan Indien et de l’Océanie, ont accru l’importance de la gestion des pêches et de la protection de la biodiversité, sujets sur lesquels l’UE dispose d’une réelle expertise.

Le domaine maritime se prête ainsi à des approches diverses allant de la hard security, reposant sur l’envoi de bâtiments de guerre pour des missions de projection de force, à des initiatives de soft security dont l’impact est non négligeable. Au-delà des capacités militaires, l’UE peut s’investir dans des actions multilatérales en soutenant les organisations régionales — ASEAN, COI, FIP — dans la mise en place de coopérations maritimes diverses, comme la gestion des stocks halieutiques ou l’assistance humanitaire en cas de désastre naturel (Humanitarian assistance and disaster relief ou HADR). La France contribue ainsi à la protection des pêches dans l’océan Indien à travers une coopération bilatérale mise en place par l’Agence française de développement auprès de l’IORA. Cela souligne le panel d’options dont l’UE dispose dans son approche des partenaires indo-pacifiques, avec le choix, selon les cas, de coopérations bilatérales ou multilatérales où à travers ses États membres.

L’Indo-Pacifique représente un espace vaste et multiple dont les changements se révèlent profonds. Pour les accompagner, la posture indo-pacifique de l’UE doit s’incarner rapidement dans des coopérations visibles et efficaces sous peine d’être accusée de n’être que déclaratoire. Elle doit en outre consolider sa trajectoire propre alors que la nature offensive et anti-chinoise du réengagement américain vers la région pourrait la condamner à un suivisme mou.

Dans ce contexte, le renforcement des liens avec l’ASEAN et l’existence d’accords et de partenariats impliquant déjà des coopérations multisectorielles avec des pays clés de l’Indo-Pacifique comme le Japon, l’Inde, l’Indonésie, le Vietnam et la Corée du Sud, sont très positifs. Ces cadres déjà opérationnels ne peuvent qu’aider l’UE à s’affirmer comme un acteur fiable aux ambitions et aux capacités d’actions globales dans l’optique de nouvelles coopérations au bénéfice de la stabilité de la région.

<strong>Enjeux géostratégiques dans l’Indo-Pacifique</strong>

Notes

(1) Ministère des Armées, « La stratégie de défense française dans l’Indo-Pacifique », 2018, mise à jour du 24 juin 2020 (https://​bit​.ly/​3​A​Y​I​Jg0). Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, « La stratégie de la France dans l’Indo-Pacifique », juillet 2021 (https://​bit​.ly/​3​G​2​4​3​oPf).

(2) Conseil de l’Union européenne, « Conclusion du Conseil sur une stratégie de l’UE pour la coopération dans la région indo-pacifique », Bruxelles, 16 avril 2021 (https://​bit​.ly/​3​j​e​S​Kjl).

(3) Commission européenne, « Communication conjointe au Parlement européen et au Conseil : La Stratégie de l’UE pour la coopération dans la région indo-pacifique », Bruxelles, 16 septembre 2021 (https://​bit​.ly/​3​B​2​x​qDA).

(4) M. Abensour, N. Riedel, M. Vonno, « EU’s Indo-Pacific Strategy stands ready to deepen EU-Asean ties », The Business Times, 15 octobre 2021 (https://​bit​.ly/​3​C​4​r​Cec).

(5) Josep Borrell, « The EU approach to the Indo-Pacific », Jakarta, 3 juin 2021, (https://​bit​.ly/​3​A​V​V​4Sd).

(6) https://​www​.state​.gov/​t​r​a​n​s​l​a​t​i​o​n​s​/​f​r​e​n​c​h​/​r​e​u​n​i​o​n​-​d​u​-​s​e​c​r​e​t​a​i​r​e​-​b​l​i​n​k​e​n​-​a​v​e​c​-​l​e​-​h​a​u​t​-​r​e​p​r​e​s​e​n​t​a​n​t​-​e​t​-​v​i​c​e​-​p​r​e​s​i​d​e​n​t​-​b​o​r​r​e​ll/

(7) Valérie Niquet, Marianne Péron-Doise, « L’annulation de la vente de sous-marins australiens, un coup d’éclat peu stratégique de Washington », Le Monde, 21 septembre 2021 (https://​bit​.ly/​3​D​Z​l​1lW). Marianne Péron-Doise, « AUKUS : la France, grande perdante du duel américano-chinois », The Conversation, 1er octobre 2021 (https://​bit​.ly/​3​p​k​b​AcL).

(8) Congrès des États-Unis, «  Strategic Compétition Act of 2021  », 15 avril 2021 (https://​bit​.ly/​3​A​Y​m​1Vt).

(9) Ursula von der Leyen, « Discours […] sur l’état de l’Union : renforcer l’âme de l’Europe », 15 septembre 2021 (https://​bit​.ly/​3​C​3​F​hlJ).

(10) Marianne Péron-Doise, « EU and “maritime multilateralism” in the Indo-Pacific : navigating in Asia’s waters », IRSEM, Strategic Brief 9, 9 juillet 2020 (https://​bit​.ly/​3​C​b​C​XZO).

(11) On mentionnera l’Espagne, l’Italie, la France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Danemark, le Portugal, l’Allemagne, la Grèce, la Belgique.

(12) Le concept de CMP permet à l’UE de maintenir une présence semi-permanente dans une zone d’intérêt en s’appuyant sur les moyens des marines nationales présentes pour d’autres missions.

Article paru dans la revue Diplomatie n°112, « Caucase : un territoire stratégique au carrefour des empires », Novembre-Décembre 2021.

À propos de l'auteur

Marianne Peron-Doise

Chercheure associée à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), où elle dirige l’Observatoire géopolitique de l’Indopacifique, et chargée de cours à Sciences Po Paris.

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