Magazine Diplomatie

Afghanistan : la chute de l’aigle ?

En mettant un terme à la « guerre éternelle », Joe Biden conclut les politiques de désengagement initiées par ses prédécesseurs et scelle le retrait des troupes américaines le 30 août 2021. Après vingt ans de présence militaire et le retour des talibans à la tête de l’Afghanistan, l’heure est au bilan.

Le 30 août 2021, le dernier militaire américain quitte le sol afghan après 20 ans de présence dans le pays. Le bilan humain et financier du côté américain est élevé : près d’un million de soldats américains ont servi en Afghanistan, 2 455 furent tués et 20 740 furent blessés lors de cette guerre. Ne figurent pas dans les chiffres officiels les Américains décédés qui travaillaient pour des compagnies de sécurité privées, bien que ce nombre semble être plus élevé que celui des soldats.

Le coût de l’engagement est quant à lui estimé entre 2 et 2,5 trillions de dollars. Ce coût ne s’arrête toutefois pas là puisqu’il y aura un coût financier très élevé à long terme : le financement des vétérans.

Malgré cet effort humain et financier, la guerre en Afghanistan se solde par un échec pour les États-Unis, et plus largement pour la communauté internationale (l’OTAN, l’UE, l’ONU, les ONG…). Pourtant, l’intervention militaire qui débute le 7 octobre 2001 connaît rapidement une issue favorable. Les forces spéciales américaines et la CIA, accompagnées de l’Alliance du Nord et soutenues par les forces aériennes, parviennent en quelques semaines à affaiblir Al-Qaïda et à chasser les talibans du pouvoir en Afghanistan. Même si Ben Laden échappe aux Américains dans les montagnes de Tora Bora en décembre 2001, la mission est une réussite militaire. Pourtant, dès 2002, la situation se complique et annonce l’échec à venir 19 ans plus tard. En effet, la mission évolue d’une élimination d’Al-Qaïda et ses alliés talibans vers une volonté de reconstruire le pays : le fameux nation building. Alors qu’une telle mission requiert théoriquement des moyens considérables et un engagement sur le très long terme (20 à 30 ans minimum), les États-Unis se désintéressent de l’Afghanistan pour se concentrer sur l’Irak dès 2003. L’article propose de revenir sur les politiques menées par les quatre présidences américaines impliquées ainsi que sur les raisons politico-idéologiques de l’échec, les fondements géostratégiques du retrait et l’avenir de la relation entre Kaboul et Washington.

D’un dossier prioritaire à un fardeau

La politique des différentes administrations américaines a été caractérisée par un manque de cohérence et de vision à long terme, chaque présidence ayant ses propres priorités, changeant continuellement les objectifs et ne prévoyant aucune stratégie de sortie. Suite aux attentats du 11 septembre 2001, l’administration Bush affiche sa volonté d’amener le Grand Moyen-Orient (région allant du Maroc à l’Afghanistan) vers des processus de démocratisation. Dans un premier temps, l’objectif est de détruire Al-Qaïda en Afghanistan grâce à la mission « Enduring Freedom ». Croyant la victoire à portée de main suite à la prise de Kaboul puis le contrôle d’une grande partie de l’Afghanistan, le président George W. Bush, poussé par les néoconservateurs, ouvre un deuxième théâtre d’opérations en Irak en 2003 (« Iraqi Freedom »).

L’objectif en Irak est simple, à tout le moins sur papier : renverser Saddam Hussein et instaurer une démocratie, en comptant sur le fait que cette démocratisation provoque un effet boule de neige à travers la région. Toutefois, l’évolution des deux théâtres prend Washington par surprise et les opérations s’embourbent. Il en résulte un épuisement des ressources et de l’énergie de la puissance américaine, amplifié par la crise économique de 2008.

Face à la situation socio-économique des États-Unis, et une certaine réserve par rapport à ce que l’administration Obama considère plus comme des guerres de choix (en particulier l’engagement américain en Irak) plutôt que des guerres de nécessité, la priorité posée par le président nouvellement élu est de sortir d’Irak pour 2011. Par ailleurs, de nombreuses hésitations sur le dossier afghan (réduire l’empreinte ou envoyer des renforts) se caractérisent souvent par des non-décisions ou des compromis bureaucratiques, alors que les objectifs à atteindre en Afghanistan demeurent indéfinis. La volonté de se diriger vers le désengagement en Afghanistan devient de plus en plus prégnante alors que, le 2 mai 2011, l’assaut des forces spéciales américaines à Abbottabad au Pakistan mène à la découverte et à la mort de Ben Laden. Ce désengagement progressif doit aller de pair avec un renforcement des moyens et de la formation des forces de sécurité afghane — dans une sorte de doctrine de Guam 2.0. Fidèle à sa politique d’engagement sélectif, la présidence Obama est fondée sur le pragmatisme, les alliances, une interprétation stricte de l’intérêt national et un leadership transformationnel. Une telle orientation s’explique par la situation interne aux États-Unis, le constat d’échec de la Guerre globale contre le terrorisme et le déclin relatif américain sur la scène internationale. La priorité pour Washington est l’endiguement de ce déclin, ce qui nécessite de réallouer les ressources vers l’intérieur (nation building at home). La logique d’Obama peut se résumer ainsi : s’abstenir d’entrer dans des guerres de choix ou des crises régionales et locales, énergivores en moyens financiers, humains, militaires, et qui risquent non seulement de mettre en danger la reconstruction socioéconomique des États-Unis, assise de leur puissance, mais également de détourner les moyens américains du danger à long terme constitué par la Chine, et dont l’enjeu est la pérennité du leadership américain. Le désengagement américain s’observe particulièrement au Moyen-Orient où les États-Unis, las de deux guerres, estiment que les États de la région doivent intervenir eux-mêmes pour régler les problèmes et les crises à leurs frontières (non-ingérence en Syrie, intervention tardive contre Daesh). Toutefois, rattrapée par Daesh au Moyen-Orient et la situation sécuritaire en Afghanistan, l’administration Obama ne parviendra pas à retirer les forces américaines de ces deux théâtres d’opérations.

0
Votre panier