Magazine Moyen-Orient

Israël : une aspiration croissante à la laïcité ou l’exclusion des haredim

La défaite de Benyamin Netanyahou n’est pas le seul résultat historique des élections législatives du 23 mars 2021 : l’autre, c’est l’exclusion des ultra-orthodoxes du gouvernement, où ils siégeaient presque sans interruption depuis 1981 (1). Ce changement reflète un renversement dans le « kulturkampf  » – cette guerre civile rampante entre laïcs et religieux qui fait rage depuis les années 1990. Si la minorité ultra-orthodoxe croît et se radicalise, la majorité laïque ou traditionniste entend se libérer des contraintes religieuses : l’aspiration à une forme spécifique de laïcité s’affirme.

La pandémie de Covid-19 aura représenté un accélérateur de cette évolution, tant l’opinion a été marquée par l’indiscipline des haredim, facteur important de l’épidémie dont ils furent les premières victimes. Certes, avec une majorité de la population vaccinée, Israël semblait tiré d’affaire jusqu’à l’arrivée du variant « Delta ». Seule ombre au tableau : la choquante sous-­vaccination des Palestiniens des Territoires occupés et son possible effet boomerang. Reste un bilan lourd : plus de 7 200 morts et 1,12 million de cas début septembre 2021, et un tsunami économique et social – la récession a frôlé les 4 % en 2020 et le chômage a alors atteint 27 %.

Les communautés ultra-orthodoxes, qui rassemblent 12 % de la population en 2019 (2), totaliseraient plus du tiers des décédés de Covid-19. Convaincue que la Torah les protégeait, la majorité d’entre eux n’a pas respecté les gestes barrières, a continué de se rendre dans les synagogues et les écoles religieuses (yechivot), a participé en masse aux fêtes religieuses comme aux enterrements. Ces violations des ­directives des autorités ont même provoqué des affrontements avec la police.

Covid-19 : double peine pour les ultra-orthodoxes

Ravivée par la bousculade mortelle du mont Meron, le 30 avril 2021, la tragédie de la pandémie a engendré deux réactions contradictoires. L’opinion éprouve de la compassion vis-à-vis d’une communauté durement touchée, dont avant même l’épidémie la moitié (sur)vivait sous le seuil de pauvreté. Et pour cause : tandis que les hommes prient et étudient, les femmes, déjà chargées de leurs nombreux enfants, doivent travailler, l’austérité ayant réduit comme peau de chagrin les allocations familiales. Mais les « laïcs » manifestent aussi un rejet accru de la prétention des « hommes en noir » à régenter leur vie. Pour comprendre ce paradoxe, il faut savoir qu’en Israël, deux phénomènes s’imbriquent : le noyau dur des pratiquants croît et se radicalise, provoquant en réaction une aspiration grandissante à une certaine forme de laïcité.

Provoquées par Benyamin Netanyahou, les quatre élections législatives anticipées de 2019-2021 ont reflété la première tendance. Lors de la dernière, le 23 mars 2021, le Judaïsme unifié de la Torah (ashkénaze) a recueilli 5,6 % des suffrages exprimés et obtenu sept députés (sur 120) ; le Shas (Gardiens séfarades de la Torah) 7,1 % des voix et neuf sièges. Le total se chiffre donc à 12,7 % et 16 députés, contre 4,7 % et six sièges pour leur première participation en 1955. Quant aux héritiers du Parti national religieux, orthodoxe et sioniste, considérablement droitisés, ils ne rassemblent plus en 2021 avec Yamina (À droite) que 6,2 % des voix et sept députés, contre 12,2 % et 16 sièges en 1949.

Les derniers résultats de l’ultra-orthodoxie politique figurent parmi les meilleurs de l’histoire. En 1951, Agoudat Israël et Poalei Agoudat Israël avaient décroché pour leur première participation indépendante 3,6 % des suffrages exprimés et cinq sièges. Leur nombre de députés – additionné à celui de la scission Degel Hatorah, puis sous le nom de Judaïsme unifié de la Torah – variera ensuite de quatre à six sièges et, depuis les élections de 2013, de six à huit. Le Shas ne cessera de progresser, de quatre sièges lors de sa première participation en 1984 jusqu’au record de 1999 : 17 députés. Depuis, il a reculé pour tomber à neuf élus aux trois dernières élections.

À propos de l'auteur

Dominique Vidal

Journaliste et historien, spécialiste du conflit israélo-palestinien, coordinateur de l’édition annuelle de l’« État du monde » (avec Bertrand Badie, La Découverte), membre du bureau de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO).

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