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Soudan, une révolution confisquée par les militaires

Le 25 octobre 2021, les militaires du gouvernement de transition en place au Soudan depuis la chute d’Omar al-Bashir réalisent un putsch pour s’emparer des rênes du pouvoir qu’ils partageaient avec les civils depuis l’été 2019. Ce coup d’État n’est pas une surprise tant les tensions entre militaires et civils étaient fortes au sein des instances de transition.

Depuis quelques mois, il était devenu clair que les militaires n’entendaient pas rendre le pouvoir aux civils comme cela était pourtant prévu par l’acte constitutionnel signé à l’été 2019, quelques mois après la chute d’Omar al-Bashir. Cet accord organisait une période de transition de trois ans avant les élections générales qui prévoyait un conseil de souveraineté partagé entre civils et militaires avec une présidence tournante et un gouvernement civil. Les militaires débutaient la présidence du conseil et devaient ensuite la céder au bout de dix-huit mois. Néanmoins, bien qu’ils aient donné leur accord, les militaires ne semblaient plus l’entendre ainsi, et déjà depuis plusieurs mois, ils cherchaient des subterfuges pour repousser cette échéance. Un tel scénario était à craindre depuis le début dans la mesure où il correspond aux aspirations initiales des militaires quand ils ont pris le pouvoir après la chute d’Omar al-Bashir. Seule la ténacité des manifestants civils à faire valoir leurs aspirations démocratiques avait alors eu raison de ces ambitions initiales des militaires soudanais (1).

Après 2019, les traces de l’ère al-Bashir

La fin du régime d’Omar al-Bashir avait principalement tenu à la multiplication de grandes manifestations contre le pouvoir à partir de décembre 2018 (2). Néanmoins, le coup de grâce avait été donné par les militaires, des rangs desquels Omar al-Bashir était issu lui-même puisque ce sont eux qui l’avaient destitué et emprisonné le 11 avril 2019. Les militaires avaient alors annoncé agir au nom de la nation mais n’avaient pas pour autant rendu le pouvoir aux manifestants qui avaient immédiatement dénoncé cette usurpation de leur révolution. Un premier bras de fer s’était joué entre civils et militaires et la ténacité des premiers avait été couronnée de succès avec la signature de l’acte constitutionnel prévoyant un partage du pouvoir. Le prix humain avait toutefois été particulièrement élevé pour les civils avec plusieurs centaines de manifestants tués.

Les semaines qui ont suivi le putsch d’octobre dernier ont donc vu la même histoire se reproduire : d’importantes manifestations ont été organisées de façon régulière pour dénoncer ce nouveau coup d’État des militaires, qui une fois de plus n’ont malheureusement pas hésité à user de la force pour réprimer la contestation. La nouvelle organisation du pouvoir issue du putsch d’octobre 2021 reprend officiellement le même principe de partage que celui de la transition, tout en cherchant cependant à le dévoyer puisque les civils ne sont désormais plus que des exécutants. Avec cette mascarade, les militaires cherchent à limiter la contestation interne mais aussi internationale car nombreux sont les pays qui ont dénoncé ce nouveau coup d’État avec plus ou moins de véhémence. Mais l’actualité internationale (crise liée à la pandémie de Covid-19, tensions avec la Chine, guerre en Ukraine, instabilité des pays du Sahel, etc.) ne favorise pas un engagement actif des alliés des civils. Un gel de la levée des sanctions touchant le Soudan a néanmoins été prononcé ce qui, dans un contexte de crise économique majeure, handicape fortement l’action des militaires.

Au niveau national, il n’est pas aisé pour les militaires de trouver des alliés parmi les civils pour jouer le rôle d’exécutants dans la mesure où la grande majorité de la population dénonce vivement cette nouvelle usurpation du pouvoir. Mais on observe le retour de personnes proches de l’ancien régime d’Omar al-Bashir dans le nouvel appareil d’État, ce qui semble confirmer certaines craintes quant au fait que la transition ne serait qu’une nouvelle mue du régime islamo-militaire arrivé au pouvoir en 1989.

Une révolution en trompe-l’œil, des militaires au premier plan 

Ces craintes d’une révolution en trompe-l’œil sont nées dès avril 2019 lorsque les militaires ont pris le pouvoir sans vouloir le remettre aux civils. Le général Abdel Fattah al-Burhane, qui a alors officiellement pris la tête du pays et qui est depuis resté en place, est lui-même une figure de l’ancien régime, tout comme Mohamed Hamdan Dagalo, alias Heimidti, avec qui il partage aujourd’hui le haut de l’affiche. Al-Burhane est un militaire issu d’une tribu du centre du pays. Il semble qu’il ait fait ses classes en Égypte et qu’il ait à cette occasion noué des liens avec le maréchal Abdel Fattah al-Sissi. Il n’était pas une figure du devant de la scène du régime d’Omar al-Bashir mais il a servi dans tous les grands théâtres de l’armée soudanaise depuis vingt ans et tout particulièrement au Darfour et au Yémen.

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