Face à la puissance chinoise, un dilemme se pose à l’Australie et au Canada : comment limiter l’influence croissante de la Chine en Asie-Pacifique et, dans le même temps, préserver une coopération économique dans la région favorable aux deux pays ? Quelles sont les perspectives d’apaisement ou d’aggravation des tensions ?
Les gouvernements d’Anthony Albanese et de Justin Trudeau ambitionnent d’opérer un réalignement (reset) stratégique dans leurs relations avec la République populaire de Chine (RPC) alors que celles-ci se dégradent depuis des années (1).
En effet, à la suite de l’emprisonnement durant trois ans (2018-2021) de Michael Kovrig et de Michael Spavor en rétorsion à l’arrestation de Meng Wanzhou, la directrice financière de Huawei, la relation entre le Canada et la Chine s’est profondément détériorée, à un point inégalé depuis leur reconnaissance diplomatique en 1970. Les récentes allégations d’un site d’information canadien selon lesquelles Pékin aurait financé onze candidats aux élections fédérales canadiennes de 2019 ont parachevé le climat exécrable entre les deux pays.
En Australie, la relation bilatérale n’est guère meilleure depuis que la Chine a établi des barrières commerciales sur les produits australiens tels que le charbon, le bœuf ou encore le bois, une décision interprétée par Canberra comme une sanction faisant suite aux demandes australiennes d’une enquête indépendante sur les origines et les réponses à la pandémie de Covid-19. Cela étant, des signes de « normalisation » des relations sino-australiennes apparaissent, la RPC ne pouvant pas à long terme se passer de l’un de ses principaux fournisseurs d’énergie — de charbon en particulier.
Des tensions liées au spectre de l’influence chinoise
En février 2023, l’Australie a décidé de retirer près d’un millier de caméras et des systèmes de surveillance de technologies chinoises installés dans des ministères et agences gouvernementales (2). Les risques cyber liés à la transmission des données par les deux géants du secteur Hikvision et Dahua ont justifié cette mesure drastique, vivement critiquée par Pékin, qui devait tendre un peu plus les relations avec Canberra. L’Australie tente ainsi de se prémunir contre cette crainte de l’influence chinoise. Dans son ouvrage publié en 2018 — ayant eu un certain retentissement en Australie — Clive Hamilton dissèque le système complexe des agences chinoises et leur large répertoire d’actions pour infiltrer les entités gouvernementales australiennes, les industries stratégiques (minière, agricole, électrique, portuaire, etc.) ou encore le milieu académique (3). La même année, le cadre législatif s’est consolidé avec la promulgation du Foreign influence transparency scheme (FITS), une loi inspirée des États-Unis qui prévoit l’enregistrement obligatoire de certaines activités conduites par un gouvernement étranger, une organisation politique ou un individu en relation avec cet autre État (4).
Le renforcement de la stratégie d’influence de la Chine s’est traduit par l’élargissement du spectre des opérations à l’étranger financées par le Front uni, cette officine du Parti communiste chinois (PCC) qui œuvre au rayonnement de la propagande en agissant directement sur les sociétés et non plus sur les seuls gouvernements. Comme l’Australie, le Canada a été confronté à la « diplomatie disruptive » de la Chine qui menace sa sécurité nationale. Le gouvernement fédéral a dû par exemple traiter une potentielle affaire d’espionnage en janvier 2020, impliquant un couple de virologues chinois. Plus récemment, en novembre 2022, la police canadienne a arrêté un employé d’Hydro-Québec, suspecté d’avoir obtenu des secrets industriels dans le but d’en faire profiter la Chine.