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L’Australie et le Canada face à la puissance chinoise : des relations dégradées en quête d’apaisement

Mais, à la différence de l’Australie, et ce malgré l’attractivité économique de la Chine pour le Canada, la relation sino-canadienne ne va pas en s’améliorant. Alors que la première cargaison de charbon australien est arrivée au Guangdong le 8 février 2023, après la levée de la restriction, le gouvernement Albanese espère un retour à la normale en termes de coopération énergétique avec la RPC. Enfin, l’intensité du trafic maritime pour les échanges de matières premières en Asie orientale et méridionale contribue à faire de l’Indopacifique l’épicentre de la nouvelle géopolitique houillère et gazière. À celle-ci se conjuguent des dynamiques de militarisation qui entraînent l’Australie et le Canada dans des jeux d’alliances face à la puissance chinoise.

Les relations de l’Australie et du Canada avec la Chine mises au défi en Indopacifique

L’influence grandissante de la Chine en Asie-Pacifique n’est plus à démontrer. Recevant plus de la moitié des exportations des États fédérés de Micronésie, la RPC dispose également de ports en eaux profondes comme celui d’Honiara aux îles Salomon avec qui elle a signé un pacte de sécurité en 2022. Pékin souhaite ainsi déployer une diplomatie proactive le long du corridor stratégique du Pacifique Sud, s’étendant de la Micronésie jusqu’aux Fidji en passant par les îles Salomon et le Vanuatu. Ce dernier État illustre d’ailleurs la compétition sino-australienne en Océanie. Troisième bénéficiaire des aides au développement de l’Australie, le Vanuatu reçoit pourtant des financements de plus en plus importants de la Chine : pour la rénovation des quais et du port de Luganville, qui peut accueillir des navires militaires, du réseau des télécommunications par des entreprises d’État chinoises ou encore des infrastructures routières.

Face à l’affirmation de la puissance chinoise, les États-Unis mettent en avant un « club » quadripartite (Quadrilateral security dialogue — QUAD) autour de l’Australie, de l’Inde et du Japon qui témoigne de la nécessité d’un rapprochement entre deux façades maritimes interconnectées, l’océan Indien et le Pacifique. Le QUAD représente un pilier de la stratégie australienne en Indopacifique et l’annonce d’une alliance militaire (AUKUS) en septembre 2021 aux côtés des États-Unis et du Royaume-Uni signale que l’Australie se prépare à une potentielle guerre de haute intensité dans la région.

L’escalade des tensions entre Canberra et Pékin a d’ailleurs franchi un nouveau cap, le 7 juin 2022, après un incident aérien entre un chasseur chinois et un avion de patrouille marine australien en mer de Chine méridionale. Une semaine auparavant, le Canada avait déjà accusé l’aviation chinoise d’avoir mis en danger plusieurs de ses avions dans l’espace aérien international en Asie. Malgré son statut de puissance moyenne — ce que révèle son exclusion d’AUKUS —, le Canada augmente clairement (depuis 2010 environ) sa participation aux exercices militaires conjoints avec ses alliés dans la région, déployant par exemple ses forces marines dans le cadre du Rim of the Pacific exercise (RIMPAC).

Si les politiques étrangères australienne et canadienne résultent d’un calcul complexe entre diplomatie et dissuasion militaire, les deux pays pourraient surtout faire valoir auprès des États-Unis et leurs partenaires asiatiques que la structure de sécurité collective en Indopacifique ne peut écarter la Chine. Tout en reconnaissant leurs responsabilités envers les États-Unis en tant qu’allié et voisin, les deux pays devraient veiller à leurs propres intérêts fondamentaux, ce qui peut se traduire par une implication dans des opérations de liberté de navigation.

Hugh White, ancien secrétaire adjoint pour la stratégie et le renseignement au ministère de la Défense australien, recommande de ne pas s’engager militairement en cas de conflit dans le détroit de Taïwan (9). De plus en plus de voix du monde politique et académique s’élèvent pour inciter les gouvernements à Ottawa et Cambera à ne pas aligner leur politique étrangère sur celle de Washington. Ce « suivisme » pourrait conduire à ce que les relations bilatérales du Canada et de l’Australie avec la Chine soient instrumentalisées par la rivalité sino-américaine et par conséquent se détériorent davantage.

Le réchauffement des relations sino-australiennes s’est amorcé en décembre 2022, lors de la visite à Pékin de Penny Wong, cheffe de la diplomatie australienne, à l’occasion du 50e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays. Les ministres du Commerce chinois et australien ont eu, lundi 6 février 2023, leur première réunion en plus de trois ans dans une étape majeure vers la « normalisation » des relations. Au contraire, ce processus ne semble pas immédiat pour les relations sino-canadiennes, à cause, entre autres, des divergences de vues sur les dossiers diplomatiques et de défense. Mais il n’empêche qu’Ottawa considère que la coopération avec la Chine, dans des domaines majeurs comme les changements climatiques, n’est pas seulement possible mais nécessaire. La diplomatie environnementale peut-elle pour autant servir de catalyseur au rapprochement sino-canadien ? La COP15 sur la biodiversité, qui s’est tenue à Montréal en décembre 2022, coorganisée par le Canada et la Chine, ne l’a en tout cas pas démontré.

Notes

(1) Après neuf années au pouvoir du précédent gouvernement conservateur, l’administration d’Anthony Albanese de centre-gauche tente de reconstruire les relations commerciales avec la Chine. De son côté, le Canada a mis à jour sa politique chinoise avec l’annonce d’une stratégie pour l’Indopacifique le 27 novembre 2022.

(2) Ausma Bernot, « There Are 60,000 Chinese-made surveillance systems in Australia — how concerned should we be ? », The Conversation, 13 février 2023 (https://​rb​.gy/​b​n​f​qmf).

(3) Clive Hamilton, Silent Invasion : China’s Influence in Australia, Richmond, Australia : Hardie Grant Books, 2018.

(4) Dès 1938 aux États-Unis a été adoptée la loi sur l’enregistrement des agents étrangers (Foreign agents registration act — FARA) pour cibler la propagande fasciste durant la Seconde Guerre mondiale. Dès les années 1960, son application s’est étendue aux lobbyistes et aux entreprises de relations publiques travaillant pour les gouvernements étrangers.

(5) Bureau de l’économiste en chef, « Resources and Energy Quaterly », gouvernement australien, département de l’Industrie, de la Science et des Ressources, décembre 2022, pp. 56 et 68 (https://​rb​.gy/​4​x​e​zip).

(6) Évalué à 60 milliards de dollars US, ce contrat entérine la livraison de 30 millions de tonnes par an de charbon à la China International Power Holding pendant vingt ans. Source : Sylvie Cornot-Gandolphe, « La nouvelle géopolitique charbonnière », Annales des mines, Responsabilité et Environnement, 2(58), 2019, pp. 37 et 40.

(7) Le Japon a de nouveau dépassé la Chine en 2022, 26,5 % contre 25 %. Source : Statistiques du gouvernement du Canada.

(8) Dans la géopolitique des minerais critiques et stratégiques, l’Australie était en 2022 le premier producteur mondial de bauxite, de fer, de magnésium, de lithium, et le deuxième (derrière la Chine) d’or et de plomb. Source : USGC, « Mineral Commodity Summaries 2023 », United States Department of the Interior / Geological Survey, Reston, Virginie, 2023 (https://​rb​.gy/​c​t​f​9zi).

(9) White Hugh, « A war over Taiwan would be nothing like Afghanistan », Financial Review, 25 avril 2021 (https://​rb​.gy/​4​h​e​dxe).

Légende de la photo en première page : Le 16 novembre 2022, une image capte l’échange tendu entre le Premier ministre canadien Justin Trudeau et le président chinois Xi Jinping durant le G20 de Bali. Quelques jours plus tôt, la ministre canadienne des Affaires étrangères, Melanie Joly, déclarait en amont de cette tournée diplomatique dans la région indopacifique, que le Canada n’hésiterait pas à affronter la Chine, « une puissance qui bouleverse de plus en plus l’ordre mondial » et qui « cherche à façonner l’environnement mondial de manière à ce qu’il soit plus permissif pour des intérêts et des valeurs qui s’éloignent de plus en plus » de celles du Canada. (© Justin Trudeau/Flickr)

Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°73, « Géopolitique de la Chine », Avril-Mai 2023.
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