D’autre part, grande est la tentation de considérer que les échecs russes démontrent sans ambiguïté la supériorité technologique et stratégique occidentale et que, par contrecoup, le modèle actuel est non seulement adapté, mais peut également subir des coupes – tentation d’autant plus prégnante que la situation économique n’est pas brillante. Il y a là aussi un risque. On aurait tort de sous-estimer le matériel russe : les meilleurs matériels de leurs catégories n’auraient jamais pu compenser les erreurs politiques et stratégiques de Moscou. L’armée russe, effectivement puissante sur le papier aurait pu l’être nettement plus sur le terrain si ce n’était une série d’erreurs sur le plan idéel. Cette leçon-là aussi sera sans doute bien comprise par de futurs compétiteurs…
Notes
(1) Sur ce débat et ses avatars : Joseph Henrotin, La technologie militaire en question. Le cas américain et ses conséquences en Europe, Economica, Paris, 2013.
(2) La multiplication des raids a notamment eu pour conséquence d’imposer un recentrage de la supériorité aérienne sur l’Allemagne, augmentant certes la liberté des forces aériennes sur les théâtres, mais permettant également de mettre en place de véritables embuscades aériennes particulièrement destructrices pour la Luftwaffe, notamment en 1944. Williamson Murray, Strategy for Defeat. The Luftwaffe 1933-1945, Maxwell AFB, Air University Press, 1983 ; Matthew Cooper, The German Air Force, 1933-1945. An Anatomy of Failure, Londres-New York, Jane’s, 1981.
(3) À titre de comparaison, l’incapacité japonaise a mettre en place des systèmes ASM – techniques ou organiques – a conduit à la destruction d’une bonne partie de la flotte de cargos assurant le soutien des garnisons sur les îles encore tenues et, pis encore, à réduire les capacités d’importation de matières premières.
(4) Olivier Entraygues, Le Stratège oublié. J‑F‑C Fuller 1913-1933, Brèches Éditions, 2012.
(5) Joseph Henrotin, « Munitions rôdeuses : le vrai game changer ? », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 75, décembre 2020-janvier 2021.
(6) Voir l’article consacré à la question dans ce hors-série.
Légende de la photo en première page : Le Sea Shadow, testé à partir du milieu des années 1980. La furtivité fait partie des technologies traditionnellement citées comme « game-changing », mais elle est aussi l’illustration que ce pouvoir est transitoire. (© Lockheed Martin)