Juillet et août 2021 : la Chine effectue deux tests de missiles ayant des répercussions stratégiques. Elle tire ainsi des engins qui, a priori, ont des profils de vol proches de celui d’un planeur hypersonique. Mais ceux-ci apparaissent également comme ayant une portée dépassant de loin ce que l’on attend d’un système hypersonique – ranimant des réflexions qui n’avaient plus été conduites depuis les années 1970.
Quelques semaines plus tard, la Space Force américaine, qui a suivi de près les essais, a effectivement conclu à l’essai par la Chine d’une charge FOBS (Fractional orbital bombardment system). Ces essais – il était d’abord question d’un seul tir – démontraient également qu’ils s’avéraient plus performants que les solutions qu’avaient, en leur temps, mises au point les Soviétiques, en pointe sur ce domaine (1). Techniquement parlant, une charge FOBS – en fait, un bus permettant de larguer une arme – ne suit pas une trajectoire balistique classique. Sa trajectoire est déterminée par l’impulsion conférée à la charge lors du lancement. Au-dessous d’un certain seuil d’énergie, la charge retombe d’elle-même, après avoir éventuellement été larguée depuis un bus de mise en œuvre de charges guidées indépendamment (MIRV).
Les aspects techniques
Comparativement, une charge FOBS est lancée avec bien plus d’énergie, ce qui lui permet d’atteindre l’orbite basse et lui donne une portée très supérieure à une charge balistique, permettant de frapper n’importe quel point au monde. L’arme est ensuite désorbitée lors de son largage du bus de lancement, et peut alors frapper sa cible. Ce type de système de lancement présente plusieurs avantages. D’une part, la progression s’effectue sur une trajectoire globalement dépressive, à une altitude plus basse que celle d’une charge balistique. Dès lors, si un lancement n’échapperait pas à un pays qui serait doté de satellites de détection avancée, la détection par un radar terrestre est plus tardive. En conséquence, les préavis d’alerte au bénéfice de l’avertissement des populations ou du lancement d’une riposte sont plus courts.
D’autre part, une charge FOBS peut, parce que sa portée est bien plus importante, permettre une frappe selon des vecteurs d’arrivée différents de ceux d’une charge balistique. Classiquement, un tir de missile balistique depuis la Russie ou la Chine vers les États-Unis – et inversement – passerait au-dessus de l’Arctique, en « ligne directe ». Or une charge FOBS peut être tirée non vers le nord, mais vers le sud, de sorte qu’elle atteindrait les États-Unis en arrivant du côté opposé. L’avantage découlant d’une telle trajectoire est qu’elle contourne le dispositif de défense antimissile, en permettant l’arrivée de la charge via une zone moins densément couverte en radars – dont l’azimut est le nord, le nord-est et le nord-ouest – comme en intercepteurs.
S’ajoute également la question du suivi de la charge une fois celle-ci lancée : les capteurs infrarouges des satellites de détection avancée étant avant tout calibrés pour les détections de lancements, l’aptitude au suivi de charges ayant des trajectoires exotiques pourrait s’avérer plus délicat, d’autant plus que plusieurs révolutions pourraient être faites avant que l’arme ne soit larguée de son bus. En fin de compte, ces différents aspects non seulement renforcent l’incertitude quant à la manière de conduire les opérations, mais accroissent également les probabilités d’une frappe effective. Le système en tant que tel tend donc à renforcer le pouvoir dissuasif des arsenaux qui en sont dotés. Mais il présente également plusieurs défauts. Le premier est une précision historiquement moins importante lors de la frappe. La désorbitation de l’arme intervient ainsi par l’usage de rétrofusées au niveau du bus et par son ralentissement, ce qui complique les calculs préalables au tir. Il faut y ajouter la possibilité que l’arme soit endommagée durant une rentrée dans l’atmosphère plus rapide qu’au terme d’un lancement par un missile balistique.