Jamais, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le monde n’avait connu une telle effervescence dans le domaine des aéronavales embarquées. Longtemps restées l’apanage des grandes marines de classe mondiale, elles séduisent désormais des forces plus régionales, voire des marines à vocation purement défensive. Il faut dire que, avec l’arrivée de drones de plus en plus autonomes, ces capacités sont devenues plus accessibles. Et demain, la généralisation des aéronefs convertibles pourrait bien encore accentuer ce phénomène.
Ces dernières années, les lancements de porte-avions et de porte-aéronefs se sont multipliés partout dans le monde. Après avoir mis en service son deuxième porte-avions en 2019, la Chine a lancé son troisième bâtiment, plus lourd et doté de catapultes, en 2022. Parallèlement, et en moins de 18 mois, la flotte chinoise a également intégré trois nouveaux porte-hélicoptères Type‑075. L’année dernière, c’est l’Égypte qui aurait fait part de son intérêt à la France pour un porte-avions, en plus de ses deux porte-hélicoptères amphibies déjà opérationnels. En ce début d’année, des photos aériennes d’une base navale iranienne ont montré ce qui semble être un navire marchand en cours de conversion en porte-drones.
La Turquie, de son côté, vient récemment de réceptionner son porte-aéronefs Anadolu, qui va progressivement monter en puissance comme porte-hélicoptères puis porte-drones. Des évènements qui viennent s’ajouter aux programmes en cours dans la région Asie-Pacifique, notamment en Inde, au Japon et en Corée du Sud. Mais comment expliquer ce soudain engouement pour les navires destinés à l’emport d’aéronefs, qu’ils soient pilotés ou non ? En premier lieu, il faut bien voir que nombre de ces programmes répondent avant tout à un besoin opérationnel réel. La montée en puissance de la Chine, notamment, pousse les pays voisins à améliorer quantitativement et qualitativement leurs aéronavales embarquées. Les traditionnels hélicoptères anti-sous-marins (ASM) embarqués à bord de frégates et de destroyers sont peu à peu complétés par des moyens aériens plus variés, qui nécessitent des navires plus lourds et bien souvent réservés aux activités aériennes : les porte-aéronefs. En second lieu, toutefois, il faut reconnaître que l’effervescence autour de cette question s’explique aussi par l’apparition de nouveaux vecteurs aériens plus abordables, ou tout simplement plus faciles d’accès.
Les porte-drones brouillent les frontières
Comme bien souvent dans le secteur de la défense, ces nouveaux vecteurs aériens sont généralement des drones. En quelques années, les algorithmes d’aide au pilotage automatique ont suffisamment évolué pour permettre à des engins volants de toutes tailles de décoller du pont d’un navire et s’y poser en toute autonomie, ou avec une intervention humaine extrêmement réduite. Ces mêmes engins volants, dotés de moteurs de plus en plus puissants, de sources d’énergie de plus en plus compactes, de capteurs miniaturisés très performants et d’antennes de communication UHF ou satellites ultralégères, sont désormais en mesure d’opérer sur de longues distances tout en emportant une charge offensive crédible. Sans atteindre le niveau de destruction d’un véritable avion de combat, ces charges représentent tout de même une menace suffisamment sérieuse pour obliger l’adversaire à engager des moyens lourds face aux porte-drones. Mais, surtout, les drones sont en mesure d’opérer en essaims, saturant les défenses d’une frégate ennemie simplement par leur nombre, indépendamment de leur niveau technologique ou des éventuelles armes embarquées.