Principal consommateur d’énergies fossiles et premier producteur mondial de ressources renouvelables (EnR), avec près de la moitié des capacités globales installées de panneaux solaires et d’éoliennes, la situation énergétique de la Chine est paradoxale et sa puissance verte ne pourrait être qu’un trompe-l’œil.
Les photographies des gigantesques champs de panneaux solaires et de turbines éoliennes dans les provinces du Nord-Ouest (Xinjiang, Gansu et Mongolie intérieure), largement diffusées dans les médias chinois et occidentaux, conduisent à présenter — de manière trompeuse — la Chine comme un modèle de réussite indéniable de transition énergétique. La réalité du pays invite à poser un regard plus nuancé car, même si la volonté politique de Pékin n’a pas été démentie et que les efforts financiers le confirment, la décarbonation du mix énergétique chinois s’inscrit dans le long terme et de sérieux obstacles demeurent pour remplacer le charbon comme principale ressource consommée (et produite) en Chine. En effet, les énergies fossiles (pétrole, gaz naturel et houille) représentent encore plus de 80 % de la consommation nationale. L’urbanisation accélérée et le développement économique de la République populaire de Chine (RPC) ont évidemment eu des répercussions majeures sur sa consommation énergétique. En 1992, pour la première fois, le volume annuel de la production d’énergies primaires (1) est inférieur à sa consommation, c’est-à-dire que la production chinoise ne répond plus à la consommation intérieure ; l’écart s’est creusé à partir de 2002-2003 et ne fait que s’accentuer depuis. La consommation d’énergies primaires en Chine a presque été multipliée par cinq en trente ans.
La loi sur la conservation énergétique (adoptée en 1997 par l’Assemble nationale populaire, et révisée en 2007), puis la loi sur les énergies renouvelables (2005), constituent les étapes fondatrices de la transition énergétique chinoise. Il s’agit non seulement pour la RPC d’apporter une réponse à une situation de dépendance énergétique, mais aussi à des menaces croissantes à l’environnement, exemplifiées notamment par la pollution atmosphérique ou « airpocalypse » (2). Dans le référentiel du Parti communiste chinois, la crise environnementale s’est donc agrégée comme une problématique centrale de la transition énergétique, justifiant le choix des autorités de faire du gaz naturel une partie de la réponse pour décarboner l’économie chinoise. En outre, poursuivant cet objectif de diversification du mix énergétique compatible avec une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), la RPC mène une stratégie d’innovation ambitieuse qui a conduit à une montée en gamme de son savoir-faire technologique dans le nucléaire civil.
Le déploiement à (très) grande échelle des EnR en Chine pour décarboner la production d’électricité est en cohérence avec son agenda climatique (double objectif carbone 2030-2060 — “shuāng tàn” mùbiāo) car l’industrie électrique est responsable de 41 % des émissions nationales de CO2. Cependant, il faut tenir compte du temps (parfois des mois) nécessaire pour raccorder les nouvelles infrastructures (éoliennes et solaires) aux réseaux. À cela s’ajoutent d’autres facteurs liés aux caractéristiques des EnR (intermittence, non pilotables, etc.) qui invitent à modérer l’effet d’annonce du « verdissement de l’électricité chinoise » ou, à tout le moins, contextualiser la décarbonation de la production électrique en Chine dans un horizon plus réaliste (2060 ? 2100 ?) qui tienne compte de la prépondérance du charbon dans la structure énergétique du pays. Ainsi, au-delà du sensationnalisme souvent associé à l’envergure des politiques énergétiques chinoises, comment se traduit dans la pratique la décarbonation du pays ? Quelles sont les réussites et les échecs de ce processus ? La Chine est-elle vraiment la championne de la transition énergétique ?
Un virage gazier et nucléaire pour assurer la transition énergétique
L’évolution du mix énergétique chinois dans l’horizon de la transition énergétique offre une place de choix au gaz naturel, comme en témoigne l’accroissement de sa consommation au rythme annuel de 12,6 % depuis 2010. Principale alternative au charbon qui s’est imposée dans la plupart des zones urbaines les plus polluées, le gaz est pourtant devenu une ressource dont la Chine souffre d’un taux de dépendance externe de plus en plus élevé (d’environ 4,9 % en 2009, à 29 % en 2014, jusqu’à 40,6 % en 2019) (3). La sécurisation des voies d’approvisionnement, à la fois terrestres et maritimes, constitue donc l’un des axes clés de la « transition gazière » chinoise ; ses principaux fournisseurs de gaz étant le Turkménistan, le Myanmar, le Kazakhstan et la Russie (par gazoducs) ainsi que les grands exportateurs de gaz naturel liquéfié (GNL) comme le Qatar, l’Australie, l’Indonésie et la Malaisie.
Afin de répondre à l’accélération de la croissance économique chinoise depuis les années 2000, le gaz naturel s’est rapidement présenté comme la meilleure alternative au charbon et, au regard de l’augmentation de la consommation gazière chinoise, la Russie dispose d’une fenêtre d’opportunité pour diversifier ses exportations énergétiques, historiquement orientées vers l’Europe. Après une décennie de négociations, la compagnie d’État chinoise China national petroleum corporation (CNPC) et Gazprom ont signé, le 21 mai 2014, un contrat d’approvisionnement de gaz russe vers la Chine sur trente ans pour le montant colossal de 400 milliards de dollars américains. De plus, le marché chinois représente 23 % des approvisionnements internationaux de GNL de Gazprom (4). La Chine (via la CNPC et le Fonds des nouvelles routes de la soie) a d’ailleurs investi dans le projet « Yamal LNG » aux côtés de la Russie (Novatek) et de la France (TotalEnergies). Situé à 600 kilomètres au nord du cercle polaire, ce chantier colossal est un véritable défi technologique et logistique ; l’extraction de gaz du champ de South Tambey, dans la péninsule de Yamal, s’intègre dans l’approche globale de sécurité énergétique chinoise.
L’accroissement de la production nationale de gaz implique également pour la RPC le recours aux ressources non conventionnelles telles que le gaz de schiste et le méthane de houille. Même si leur exploitation est en nette progression depuis le début des années 2000, grâce notamment aux efforts d’innovation technologique réalisés par les géants du secteur, il n’empêche que les implications environnementales de la fracturation hydraulique à grande échelle et des forages de plus en plus profonds questionnent la pérennité de telles pratiques dans le cadre de la transition énergétique chinoise. Les découvertes successives des réserves de gaz en Chine dans la seconde moitié du XXe siècle ont logiquement conduit à une hausse de la consommation de cette ressource sur l’ensemble du territoire. L’objectif d’augmenter les capacités nationales de 50 % d’ici 2025 a ainsi été fixé dans le 14e plan quinquennal (2021-2025) pour que les centrales au gaz représentent 150 gigawatts (GW). À titre de comparaison, la puissance installée du parc de production d’électricité (toutes sources confondues) en France métropolitaine s’élève actuellement à 136 GW.