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L’apport des neurosciences pour les militaires

En fonction des conditions de vie, des expériences, des apprentissages et de l’environnement, le cerveau adapte et modifie sa structure : c’est la plasticité cérébrale. Cette propriété du cerveau à se transformer est à la base de tout apprentissage par la formation.

Plusieurs expériences ont été récemment menées par l’explorateur de l’extrême Christian Clot, dirigeant le Human Adaptation Institute, avec pour but d’étudier cliniquement cette plasticité, caractéristique essentielle de l’adaptation du cerveau. La première, Deep Time, a eu lieu de mars à avril 2021 : 15 volontaires ont passé 40 jours immergés dans la grotte de Lombrives, dans l’Ariège, sans aucune interaction avec l’extérieur ni référence temporelle. Les résultats sont actuellement exploités par les docteurs Koechlin et Romand – Monnier du Laboratoire de neurosciences cognitives et computationnelles de l’École normale supérieure. La seconde, Deep Climate, s’est terminée en juin 2023 : 20 personnes ont été confrontées, lors de trois expéditions de 40 jours chacune, à trois climats extrêmes différents, dans la forêt équatoriale, le désert et le milieu polaire.

Si les résultats de ces expérimentations s’avéraient concluants, il serait possible de les transposer au monde militaire afin d’adapter, en amont des opérations, les soldats aux milieux souvent extrêmes auxquels ils sont confrontés. C’est le cas de l’armée française qui est traditionnellement projetée sur des théâtres d’opérations très variés et dans des milieux opposés. Les mois de janvier en Roumanie, de juillet au Sahel ou bien encore toute l’année en Guyane présentent des milieux et des conditions climatiques drastiquement différentes auxquelles chaque combattant doit s’habituer. Il faut en conséquence, et si la chose est possible, idéalement anticiper l’adaptation des troupes en les faisant passer plusieurs semaines sur place quitte à envoyer des cadres en précurseurs sur zone avant l’accueil de la troupe et éviter tout problème d’adaptation.

N’étant pas une machine infaillible, le cerveau est soumis à des déviations de la pensée logique et rationnelle par rapport à la réalité, appelées biais cognitifs. Générés par le système 1 et pour certains visibles par l’imagerie cérébrale, ils vont de quelques – uns à plusieurs centaines selon les sources. On peut citer ici les biais de modèle mental, d’action, d’inertie, d’intérêt ou de groupe selon Olivier Sibony, spécialiste de la prise de décision stratégique. S’il existe de grandes variabilités selon les individus et les situations dans l’émergence des biais, les situations communes porteuses de biais sont un fort état émotionnel du sujet, mais aussi des relations et considérations sociales rigides au sein du groupe (6).

Prenons l’exemple historique du biais d’excès de confiance d’un pays dans une campagne militaire et du chef dans l’exécution de ce plan : l’Espagne au Maroc en 1921 et le général espagnol Manuel Fernández Silvestre. Trop sûr de lui, ne tenant pas compte de la capacité de son ennemi Abdelkrim à lever des troupes locales, ce dernier mène alors le corps expéditionnaire de son pays au cœur du Rif marocain. Ne voyant dans ses ennemis que des brigands, persuadé de sa supériorité en nombre et en matériel, il conserve systématiquement le même mode opératoire, malgré le harcèlement des montagnards. Le 21 juillet, à Anoual, dans le nord-est du pays, le contingent espagnol de 20 000 soldats affronte 3 000 Rifains. Le général, dont l’état – major en Espagne ne perçoit pas non plus la gravité de la situation, est hésitant et appréhende mal la situation et le rapport de force. Il décide de procéder à la retraite des troupes « vers Izumar et Ben Tieb, en faisant tout notre possible pour parvenir à cette zone  ». Toutefois, celle-ci s’opère trop tard et en désordre. Attaqués de toutes parts, démoralisés, mal équipés et sans commandement, les Espagnols perdront la moitié de leur effectif initial et laisseront derrière eux des milliers de matériels de guerre et d’intendance. Le général Silvestre se suicidera le lendemain (7).

À propos de l'auteur

Gérard de Boisboissel

Ingénieur de recherche, CReC Saint-Cyr *

À propos de l'auteur

Louise Giaume

Docteur, CReC Saint-Cyr/IRBA (Institut de recherche biomédicale des armées).

À propos de l'auteur

Marion Trousselard

Médecin-chef des services de classe normale, IRBA.

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