L’apprentissage au filtre des neurosciences
Les forces armées appliquent depuis plusieurs années diverses techniques pour optimiser les fonctions cognitives des soldats afin d’améliorer leur attention et leurs prises de décision, aussi bien au quartier que lors des manœuvres ou des séances de tir, ou bien encore durant les opérations extérieures. Mais l’étude du cerveau étant relativement récente, il s’agit donc d’en tirer profit pour la formation militaire. Notons que ce champ d’études a permis de valider des techniques déjà mises en œuvre lors de formations existantes au sein de l’armée française.
Par exemple, l’implication dans l’action permet de mieux apprendre l’information reçue et l’expérience montre que les individus se rappellent mieux un évènement quand ils le vivent avec leur corps plutôt qu’avec un point de vue externe ou une approche uniquement cognitive. Ainsi, remonter une arme les yeux bandés correspond à la restitution d’un apprentissage qui est passé par la mémoire kinesthésique qui allie position du corps et contact physique. De plus, la construction d’un apprentissage à plusieurs permet de mieux retenir une information, ce qui est le lot des formations militaires collectives et renforce l’esprit de corps d’une unité.
Outils et pistes d’application chez les militaires
À partir des points listés ci – dessus, quelles applications possibles peut-on en tirer pour le monde militaire ? Et notamment pour celles ayant un effet sur l’optimisation de la préparation opérationnelle, la préservation de l’état physique du combattant et l’amélioration de ses performances ? Nombreuses sont les blessures physiques qui pourraient être évitées, que ce soit à l’entraînement ou en opération. À ce titre, l’intéroception, ou la prise de conscience de son corps, pourrait constituer un moyen de les réduire ou de les éviter.
Les études cliniques démontrent en effet que l’attention portée au corps apporte une grande quantité d’informations au cerveau. L’une de ces études, menée sur la proprioception par le médecin principal Charles Verdonck de l’Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA), a mis en exergue une prédictibilité de 70 % de risque de blessures lors du stage Commando Marine où 60 % des échecs sont dus à une blessure des membres inférieurs. L’idée est donc de renforcer la conscience du corps pour tenter de prévenir ce risque, au travers d’exercices issus de l’Optimisation des ressources des forces armées (ORFA). D’autre part, le neurofeedback, ou le contrôle de l’activité d’une région du cerveau d’un individu à l’aide d’un signal généré par sa propre activité cérébrale, est un champ d’études pour améliorer les performances fonctionnelles du cerveau.
Depuis environ 50 ans est apparue une pratique nommée « méditation de pleine conscience ». Elle a émergé en réponse au constat que le stress aigu produit une altération du cerveau réduisant considérablement les capacités de réflexion, d’attention, et de prises de décisions. Concrètement, pratiquer la méditation de pleine conscience revient à être présent au lieu où l’on est et à un moment donné, et à se concentrer sur les sensations qui nous traversent tout en prenant conscience du moindre détournement de son attention dans l’exécution d’une tâche simple. L’étape directement subséquente étant dans ce dernier cas la réorientation de l’attention sur ladite tâche, une sortie donc de l’effet tunnel. Dans le monde militaire, cette pratique tire son intérêt de l’amélioration constatée qu’elle apporte à la gestion des émotions, des capacités de résilience et d’adaptation. Néanmoins, son efficacité suppose une pratique régulière.
Une autre technique actuellement répandue pour la régulation du stress et la gestion de ses émotions est la cohérence cardiaque. Par des exercices respiratoires, brefs (cinq minutes) et réguliers (trois fois par jour), le système parasympathique, qui porte une grande partie de l’information intéroceptive, est renforcé, la lucidité est soutenue et la concentration améliorée. À cet effet, un outil individuel est en cours de développement, le Zenspire – Army.
Enfin une autre pratique qui a prouvé son efficacité : la psychologie positive vise le fonctionnement optimum d’un individu ou d’une unité, par le renforcement de ses ressources psychologiques afin d’améliorer sensiblement la motivation, la résilience de chacun et donc les forces morales de la troupe. Parmi les expérimentations récentes sur le sujet, citons les programmes Firecare, Cocare, Don’t it et Em Care, respectivement menées pour la Brigade de sapeurs – pompiers de Paris (BSPP) et les stagiaires de l’École de guerre. Les résultats ont été probants, par exemple en réduisant l’épuisement opérationnel, les troubles du sommeil ou les biais cognitifs des individus lors de leurs activités opérationnelles ou de formation.