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La Palestine : un champ de ruines prêt à exploser ?

Deux mois après les évènements du 7 octobre et le déclenchement de l’opération militaire israélienne à Gaza, quelle est aujourd’hui concrètement la situation dans l’enclave palestinienne  ?

M. Durrieu  : Depuis les attaques du 7 octobre, les contacts avec la bande de Gaza sont de plus en plus réduits et il est donc difficile de savoir ce qu’il s’y passe vraiment. Cependant, la situation est purement et simplement une catastrophe humanitaire, que le porte-parole de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Christian Lindmeier, résume en une situation qui « dépasse l’entendement ».

Rappelons que Gaza est un des territoires les plus densément peuplés au monde, avec 2,3 millions de Palestiniens entassés sur 365 kilomètres carrés. La situation était complexe avant même le 7 octobre. Désormais, c’est 85 % de la population qui est déplacée, avec 60 % des logements qui sont détruits. Gaza est devenue une bande de décombres, où les survivants cherchent leurs proches et leurs biens mais aussi où survivre. De plus, le système de santé s’est complètement effondré : l’OMS a recensé 212 attaques contre les soins de santé dans la bande de Gaza depuis le début des attaques.

La dimension psychologique est également à prendre en compte avec plus de 17 000 morts et presque 50 000 blessés [d’après le Hamas]. Pour ceux qui restent, c’est l’enfer sur Terre. Hala Abou Hassira, ambassadrice palestinienne en France, a elle-même déclaré avoir perdu soixante personnes de sa famille. Ce chiffre représente la réalité que vivent les Gazaouis au quotidien. La terreur et la mort font partie intégrante de la vie à Gaza.

Des circonstances aggravantes viennent alourdir la situation. Un fait marquant a été la mise en place de QR codes par l’armée israélienne, pour informer les Gazaouis de l’emplacement des futurs bombardements. Ce type d’action a un effet sordide qui ajoute à la charge mentale des populations au quotidien. 

En 2020, le Dr Qawasmi, députée palestinienne de Hébron, m’a demandé « pourquoi sommes-nous l’exception des droits humains ? », cette formule résonne tragiquement aujourd’hui…

Quelle est en parallèle la situation en Cisjordanie  ?

Là encore, la situation était déjà préoccupante avant le 7 octobre. Depuis janvier 2023, l’ONU comptait déjà 200 Palestiniens tués et 4900 prisonniers politiques dans les prisons israéliennes. Par ailleurs, la situation économique est déplorable. Les restrictions imposées par Israël bloquent tout espoir de développement, entrainant un taux de pauvreté qui s’élève à presque 40 % et un taux de chômage à 26 %. 

De plus, le gouvernement israélien encourage largement la colonisation. L’ONU fait état de plus de 280 colonies et 710 000 colons présents faisant de la Cisjordanie un territoire démembré. Dès lors, la vie des Palestiniens en Cisjordanie est extrêmement dure, notamment en raison du mur de 700 kilomètres séparant Israël des territoires palestiniens. Ce mur d’une hauteur allant jusqu’à huit mètres fait des tours et des contours en grignotant le territoire palestinien et en isolant certaines villes palestiniennes, obligeant à des détours de plusieurs heures. La liberté de mouvement des Palestiniens est ainsi très limitée, puisqu’elle dépend non seulement des laissez-passer délivrés par les autorités israéliennes, mais également des checkpoints présents sur les routes. Un rapport de l’ONU fait état de 593 checkpoints en Cisjordanie, qu’Israël ouvre et ferme à son bon vouloir. 

En somme, avant le 7 octobre, la situation en Cisjordanie était déjà alarmante, mais depuis, tout s’est aggravé. Certains colons qui étaient déjà agressifs avant, le sont encore plus aujourd’hui. Beaucoup de Palestiniens racontent que des colons viennent piller leurs villages, bruler des champs d’oliviers et même déloger certains villageois. Ces colons sont armés par le gouvernement israélien sous l’égide de la « sécurité ». Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, au moins 607 Palestiniens ont été chassés par des colons israéliens en Cisjordanie depuis le 7 octobre, et selon le ministère de la Santé palestinien, au moins 190 ont été tués par des colons en Cisjordanie. Dans ces conditions, la Cisjordanie est une poudrière, bien qu’elle le fût déjà avant le 7 octobre. 

À quoi aspiraient la population et la jeunesse palestiniennes avant l’attaque du 7 octobre ?

La population était déjà totalement désespérée, en particulier la jeunesse. Il y a quelques années encore, les Palestiniens parlaient de « paix », de « solution à deux États », de reconnaissance de l’État palestinien, du retour des réfugiés, etc. C’étaient les aspirations des Palestiniens qui investissaient leur espoir dans les négociations pour obtenir gain de cause. Aujourd’hui, tous ces espoirs sont déçus. L’échec des accords d’Oslo signés en 1993 a marqué un tournant. L’accord prévoyait une période de cinq ans devant aboutir à la création et à la reconnaissance d’un État palestinien. Toutefois, cette période de transition n’a jamais été surmontée et les Palestiniens estiment que l’accord a juste permis de légitimer l’occupation israélienne puisque la colonisation s’est poursuivie. 

Avant le 7 octobre, le problème palestinien n’était plus du tout à l’agenda diplomatique, contrairement aux accords d’Abraham ayant pour but de normaliser les relations entre Israël et certains pays arabes. Le gouvernement israélien se radicalise de plus en plus, Netanyahou préfèrant invisibiliser le conflit palestinien que le régler. Les Palestiniens savaient très bien qu’il n’était pas possible de négocier avec le gouvernement Netanyahou et avaient perdu toute aspiration à un accord de paix avant même les attaques du Hamas. 

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