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Russie : une flotte de combat en peau de chagrin

Comme l’expliquait l’analyste américain Dmitry Gorenburg en 2019, « l’agression de la Russie dans son “étranger proche” et la modernisation militaire du pays sont motivées par un souci de sécurité et une perception accrue de la menace, qui découlent d’une asymétrie de puissance avec les États-Unis(1) ». Comment, dans ce cadre, va évoluer la marine russe ?

Depuis trois décennies, la priorité du programme naval russe va aux sous – marins nucléaires lanceurs-d’engins (SNLE). Il s’agit de répondre au triple défi représenté par la croissance économique du grand voisin chinois, l’expansion de l’OTAN et l’installation en Roumanie et en Pologne de lanceurs américains Mk41 théoriquement capables de tirer des missiles de croisière contre Moscou. Lancé en 2007, le programme de modernisation de la flotte est divisé en trois phases jusqu’en 2050. Excepté pour les SNLE qui respectent leur calendrier après la mise au point difficile d’un missile fiable, les objectifs de ce plan sont continuellement repoussés. Créé pour relever ce défi, le consortium USC (United Shipbuilding Company) concentre 70 % de l’industrie navale (neuf bureaux d’études et 39 chantiers). La privatisation génère une transparence qui met en lumière les retards. La perte de savoir – faire explique ceux-ci, la dernière décennie permettant toutefois de réduire des délais de production toujours plus élevés que durant l’ère soviétique.

Si les Mistral demeurent l’exception avortée d’une commande majeure à l’étranger, la Russie s’adresse volontiers à des équipementiers internationaux avant la crise ukrainienne de 2014. Les sanctions l’obligent ensuite à développer ses propres technologies, notamment dans le domaine de la propulsion pour remplacer les turbines à gaz ukrainiennes et les moteurs diesels allemands.

Jusqu’à présent, le programme naval n’a pas permis de freiner la chute spectaculaire des unités océaniques. La flotte est aujourd’hui dix fois plus faible qu’en 1991, la Russie cédant le second rang mondial à la Chine. Nonobstant son porte – avions non opérationnel au groupe aérien trois fois moindre que celui d’un porte – avions américain, la Russie voit chuter le nombre de ses unités océaniques : sept fois moins de croiseurs et destroyers que les États-Unis, cinq fois moins que la Chine, trois fois moins que le Japon et parité avec l’Inde. Le remplacement des grands bâtiments d’escadre (porte – avions, croiseurs, destroyers) n’a toujours pas commencé et le projet ambitieux d’un chantier moderne sur la presqu’île de Kronstadt est abandonné.

Moscou tient encore le troisième rang mondial grâce à sa flotte sous – marine, également vieillissante (58 bâtiments principaux). Le pays compense le déclin des grands bâtiments par la construction accélérée de corvettes surarmées de missiles antiaériens et antinavires supersoniques et bientôt hypersoniques. Ces mêmes missiles sont installés en urgence sur des destroyers et des sous – marins anciens. Ces derniers devraient être épaulés par des drones aquatiques armés, pour la défense des approches en Baltique et en Arctique. Illustration du déclin, l’Eskadra revenue en Méditerranée s’appuie désormais sur des corvettes.

Primat aux sous-marins stratégiques

Six SNLE (trois Borei 955 et trois Borei 955A) construits au chantier Sevmash de Severodvinsk et armés de jusquà 16 missiles SS‑N‑30 Bulava remplacent depuis 2013 deux SNLE Delta IV dans la flotte du Nord et trois SNLE Delta III dans la flotte du Pacifique, désarmés respectivement en 2016 et 2022 et entre 2010 et 2021. Le dernier Delta III devrait être retiré du service fin 2023. Par rapport au 955, le 955A reçoit un nouveau réacteur à eau pressurisée et une turbine à vapeur de quatrième génération. Comme sur les 955, la ligne d’arbre unique active un propulseur hydrojet complété par deux propulseurs électriques auxiliaires rétractables. Quatre autres SNLE Borei 955A doivent être livrés entre 2023 et 2026 et deux autres sont commandés. Ils remplaceront les cinq derniers Delta IV modernisés avec des missiles R‑29RMU2.1 Layner.

Admis au service en décembre 2012, le SNLE 955 Yuri Dolgorukiy rallie sa base de Gadjievo en flotte du Nord en janvier 2013. Les deux unités suivantes, le K‑550 Aleksandr Nevskiy et le K‑551 Vladimir Monomakh sont affectés à Vilioutchinsk, dans la flotte du Pacifique, en décembre 2013 et 2014. Les trois premières variantes 955A K‑549 Knyaz Vladimir, K‑552 Knyaz Oleg et K‑553 Generalissimus Suvorov rallient la flotte du Nord en juillet 2020 et la flotte du Pacifique en décembre 2021 et 2022.

Le programme stratégique russe paraît avoir surmonté sa plus grosse incertitude, la fiabilité des missiles Bulava : 32 des 39 tirs réussissent, après des débuts catastrophiques. La dissuasion est renforcée depuis juillet 2022 par le Belgorod, premier de cinq sous – marins stratégiques dotés de torpilles Status‑6/Kanyon/Poseidon de 24 m, à propulsion et ogive nucléaires pour attaquer bases navales et cités portuaires. Quatre autres sous – marins stratégiques conçus par Rubin et désignés Projet 09851 (première unité) et Projet 09853 (suivantes) Kalitka sont actuellement en construction à Sevmash pour lancer la même arme. Les deux premiers seront admis au service en 2024-2025.

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