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Proche-Orient et Moyen-Orient : missiles dans la nuit

L’Iran lançait dans la nuit du 13 au 14 avril 2024 une frappe massive contre Israël. Retour sur la genèse, le déroulé et les suites d’une séquence aussi inédite que riche en enseignements pour les armées européennes, qui doivent elles aussi faire face à des problèmes de saturation aérienne, qui restent engagées hors du continent et qui ont aussi participé aux opérations antimissiles d’avril 2024.

Le Corps des Gardiens de la révolution islamique est né en 1979. Celui-ci est souvent désigné sous le terme de Sepâh (« corps »), alors que ses membres sont connus comme les pasdarans (« gardiens »). Il a joué un rôle de plus en plus important tout au long de la guerre contre l’Irak, et se voyait confier le contrôle de l’« organisation pour la mobilisation des opprimés », soit une milice paramilitaire, le Basiji (« mobilisation »), dès 1980. Cette armée parallèle répond directement au Guide suprême de la Révolution. Dès 1985, le Sepâh se voit doté de forces navales et aériennes, puis lève en 1990 la force Al-Qods (« Jérusalem »), chargée des opérations extérieures. La force aérienne du Sepâh a été rebaptisée force aérospatiale en 2009. Celle-ci donna à son tour naissance à plusieurs commandements distincts, soit celui de la défense aérienne, le commandement aérien, qui opère une petite flotte d’aéronefs de combat et de transport, celui des drones, un commandement des opérations cyber-électroniques et enfin, le commandement des missiles Al‑Ghadir.

L’unité Hadid

Dès 1984, le Corps se mit en quête de missiles balistiques. Le régime de Hafez el-Assad accepta de former 13 techniciens à l’usage de missiles R‑17 Scud, mais refusa d’en fournir, et ce fut finalement le colonel Mouammar Kadhafi qui approuva peu après la livraison de huit missiles du même type et de deux Transporteurs érecteurs – lanceurs (TEL), bientôt suivis par 18 et quatre autres respectivement, donnant ce faisant naissance à l’unité Hadid, qui tira son premier Scud le 12 mars 1985 avec l’aide de spécialistes libyens.

Cependant, une brouille avec le fantasque colonel Kadhafi eut tôt fait d’engendrer le retrait de l’équipe de techniciens libyens et une tentative de sabotage des R‑17 restants par ces derniers. Les Gardiens, sous la conduite de Hassan Tehrani – Moghadam, le premier commandant de l’unité Hadid, durent poursuivre leur apprentissage seuls avant de parvenir à tirer leur premier Scud le 11 janvier 1987, leur chef gagnant dans l’aventure le sobriquet de « père des missiles iraniens ». La même année, le Corps recevait de Pyongyang une petite centaine de Hwasong‑5 (Mars‑5), la version nord – coréenne du R‑17E, ainsi que plusieurs TEL basés sur des châssis MAZ‑543 et Nissan. À la fin de la guerre, en août 1988, les Gardiens avaient tiré 117 Scud contre l’Irak (1).

Naissance d’une industrie

Dès la fin du conflit, l’Iran se lança dans le développement d’une industrie endogène. En 1988 déjà, un accord prévoyant des transferts de technologie et d’outillage était conclu avec Beijing, qui livrait l’année suivant un lot de 200 M‑7 à courte portée. La coopération avec Pyongyang s’intensifia également, des transferts de technologie plus limités étant aussi mis en place avec la Russie. Ces échanges permirent d’atteindre des résultats rapides, portant sur des engins à courte (jusqu’à 1 000 km) et à moyenne portée (jusqu’à 2 000 km). En effet, Téhéran indiquait en 2015 limiter ses ambitions en la matière à cette dernière valeur, quand bien même le développement de lanceurs spatiaux mené en parallèle permet de mettre au point des engins de plus longue portée sans transgresser cet engagement.

Pour ce qui relève de la courte portée, les progrès furent fulgurants avec la mise en production dès les années 1990 des Shahab‑1 et Shahab‑2 (« météores »), dérivés des Hwasong‑5 et Hwasong‑6, d’une portée de 300 et 500 km respectivement. En 2002 était testé un premier type propulsé par un carburant solide sous la forme du Fateh‑110 (« conquérant »), d’une portée de 300 km. Il fallut en revanche plus d’une décennie avant que le premier missile à moyenne portée, soit le Shahab‑3, identique au Hwasong‑7 nord – coréen, n’entre en service. D’une longueur de 15,86 m et d’un diamètre de 1,25 m, il est propulsé avec du carburant liquide, et est capable de parcourir 1 150 km dans sa variante A, emportant une charge offensive de 1 t, et 2 000 km dans sa variante B, avec une charge de 700 kg.

Depuis, l’Iran n’a cessé de produire de nouveaux modèles de missiles par itérations successives, cherchant ce faisant à leur donner une précision terminale et une ergonomie de déploiement et de lancement accrues et à augmenter leur capacité de pénétration face à des défenses antibalistiques à la sophistication croissante.

On vit ainsi apparaître des têtes manœuvrantes durant la phase terminale du vol ainsi que des coiffes recouvrant plusieurs ogives et des leurres. À cet égard, le Khaybar Shekan (« le briseur de Khaybar »), révélé en février 2022, semble représenter l’état de l’art atteint par les missiliers iraniens. Sa portée n’est que de 1 450 km, mais il est propulsé par du carburant solide. Son poids et sa taille sont diminués d’un tiers comparé à la génération précédente alors que la 
séquence de lancement serait significativement réduite, et il emporterait une ogive manœuvrante durant la phase terminale du vol. En juin 2023 était également annoncée la mise au point d’une arme hypersonique, le Fattah (« celui qui ouvre les portes à la victoire »). Le Corps s’est doté de missiles de croisière avec le lancement de la production en série du Soumar en 2015, celui-ci étant basé sur le design du Kh‑55 soviétique, dont six avaient été acquis clandestinement en Ukraine en 2001 (2).

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