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GEOINT : un outil d’aide à la décision devenu incontournable

Comment définiriez-vous le GEOINT et quel rôle joue-t-il spécifiquement dans le renseignement militaire et civil aujourd’hui ?

« GEOINT » est l’acronyme de « Geospatial Intelligence », qui se définit par « renseignement géospatial ». L’expression s’est surtout développée à partir des années 1960 dans la communauté militaire américaine, notamment dans le renseignement militaire américain. Le secteur monte en puissance aux États-Unis à partir des années 1990 et 2000, notamment au cours de tous les engagements militaires (Golfe, Afghanistan, Irak). Mais ce terme pourrait également être traduit par « fusion de données géolocalisées (renseignement et géographiques) multicapteurs », car les informations en GEOINT sont forcément localisées, horodatées à partir de l’utilisation de plusieurs capteurs dans le cadre de l’aide à la décision. Une autre approche pourrait définir le GEOINT selon quatre points : 

Le GEOINT se caractérise d’abord par des données géolocalisées. La donnée telle qu’on peut la caractériser dans le GEOINT est une donnée géographique et une donnée renseignement. C’est l’association des deux qui crée cette idée de fusion, de corrélation, de croisement de l’ensemble des données.

Le GEOINT est un processus, ce qui veut dire que l’on suit le cycle du renseignement (orientation, collecte, exploitation, diffusion). Il faut distinguer le GEOINT (renseignement multicapteurs provenant de tous les espaces matériels et immatériels connus) de l’IMINT (seule imagerie spatiale). Le GEOINT est ainsi un travail collectif qui nécessite de nombreuses compétences pour aboutir au produit fini. Celui-ci apparait sous la forme d’une carte et d’une synthèse qui répond à une question et qui synthétise les informations seulement utiles. 

Le troisième point qui caractérise le GEOINT est lié aux outils. Parmi ceux-ci, l’emploi du système d’information géographique (SIG) est prépondérant. En se modernisant depuis une dizaine d’années, les outils SIG sont de plus liés au processus de fusion de données géolocalisées multicapteurs. Il est possible, par exemple, de travailler des informations GEOINT liées à l’espace maritime en se basant sur de l’imagerie spatiale, des données AIS (signaux des transpondeurs des navires), des sources médiatiques entre autres.

 Le quatrième élément concerne les produits. La production GEOINT consiste à réaliser une démonstration dans le domaine de l’exploitation. Elle conduit à la fabrication d’une carte de synthèse issue de la fusion de données renseignement et de données géographiques. Cette carte est accompagnée d’un texte explicatif et démonstratif qui répond à un questionnement.

À l’origine, le GEOINT est une activité du renseignement dédiée à l’imagerie spatiale. Dans la culture d’emploi et dans le développement du secteur GEOINT, dans le monde occidental, le GEOINT devient une discipline centrale, c’est-à-dire à la base de tous les « INT » [OSINT, HUMINT, SIGINT…]. Sa place est telle qu’aux États-Unis en particulier, mais aussi en Europe de l’Ouest, se développe une science de l’information géospatiale. D’ici la fin des années 2020, le GEOINT sera une activité omniprésente non seulement dans le renseignement mais aussi dans le monde civil. 

En France, le GEOINT se développe que depuis une dizaine d’années, d’abord au sein de la Direction du renseignement militaire (DRM), puis dans d’autres secteurs d’activités étatiques. Comment expliquez-vous cet essor du GEOINT en France par rapport aux États-Unis ?

Les États-Unis ont été pionniers, car l’activité proprement dite s’est développée progressivement, notamment en associant cartographie et imagerie au milieu des années 1990, puis en créant la National Geospatial Agency en 2003 (17 000 employés aujourd’hui). Celle-ci publie la première doctrine en 2006 en la matière, soit la première publication d’une structuration de la pensée et d’un processus de travail. Cet essor est aussi lié à bien d’autres facteurs. Celui de l’émergence d’une base industrielle GEOINT depuis plus de 20 ans en est un. Celui des moyens humains et intellectuels l’est tout autant. Les universités américaines, par exemple, travaillent avec le Pentagone et la National Geospatial-Intelligence Agency (NGA). Dans la doctrine actuelle de cette agence, l’une des priorités est au renforcement de ces partenariats.

En France, le ministère des Armées est à l’origine des premiers développements GEOINT dans les années 2010. Il produit la première doctrine étatique en 2021, qui permet de reconnaitre cette activité comme une discipline à part entière. Comme dans tout autre domaine du renseignement et hors renseignement, il faut un certain nombre d’années avant de passer de l’idée au concept, du concept à la pratique et de la pratique à la doctrine. 

À propos de l'auteur

Philippe Boulanger

professeur de géographie à Sorbonne Université (laboratoire Médiations), responsable du master « Géopolitique et Information géographique numérique (GEOINT) », auteur de Planète médias : géopolitique des réseaux et de l’influence (Dunod, 2021) et du premier manuel en français sur le GEOINT, Geospatial Intelligence : GEOINT, un outil géopolitique d’aide à la décision (Dunod, 2024).

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