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L’influence saoudienne en France

S’acheter une image

La communication internationale saoudienne a été réorganisée par le prince héritier MBS qui, après avoir pris le contrôle des médias appartenant à des magnats saoudiens, a centralisé autour de lui le pilotage des médias et de la communication. Mais ce système se retourne parfois contre lui. La thématique de communication sur le changement que personnaliserait Mohamed Ben Salman — personnalité jeune et sympathique — est devenue une antienne qui de temps en temps se heurte à la dure réalité : 81 décapitations le 12 mars 2022 pour fait de « terrorisme » et d’appartenance à plusieurs groupes « terroristes », parmi lesquels l’organisation jihadiste État islamique et les rebelles Houthis, selon l’agence de presse saoudienne.

La France n’est qu’une cible secondaire par rapport aux États-Unis, mais Publicis est devenu le partenaire principal du royaume agissant à Bruxelles, Londres, Paris et même aux États-Unis, comme le révélait récemment la revue Challenges. Le groupe Publicis est rémunéré à hauteur de 35 000 euros par mois pour soigner l’image de l’Arabie saoudite, mise à mal par la guerre au Yémen et l’affaire Khashoggi : rencontres avec des journalistes dans des palaces parisiens et événements de prestige. Publicis a acquis l’agence Qorvis en 2012 qui dédie son action à Bruxelles. « En fonction de l’honorabilité des besognes, vous pouvez faire appel à une agence ou une autre, c’est ce qui est pratique pour un pays dont la moralité n’est pas exemplaire… », nous a confié le responsable d’une agence prestataire. Le rachat de Qorvis par Publicis n’est pas uniquement motivé par sa proximité avec le régime saoudien ; l’acquisition régulière d’agences de communication étrangères permet aux Big Five un éparpillement utile pour effectuer certaines besognes. « Cela ne marche pas toujours. Une affaire comme Khashoggi rend la mission impossible. Publicis minimise toujours. C’est un contrat important même si ce n’est pas un pont d’or du tout. C’est un travail en continu, on fait un point par semaine à l’ambassade sur les dossiers de la semaine, les dossiers de presse à rendre, l’organisation de rendez-vous dans Paris dans les milieux politiques notamment. Ce n’est pas vraiment du lobbying car il y n’y a pas strictement de lois à faire passer qui concernent l’Arabie Saoudite. Mais il faut sensibiliser à certains sujets et trouver des relais », témoigne un ancien de Publicis. Dans une lettre adressée au CEO de Publicis Maurice Levy, Reprieve, l’ONG de défense des droits de l’homme basée au Royaume-Uni, accuse Qorvis de « blanchir » les graves atteintes aux droits de l’homme, accusant même la compagnie d’aider le gouvernement saoudien à justifier l’exécution d’opposants non violents. Peu après cet échange, le paragraphe sur l’Arabie saoudite a disparu du site web de Qorvis, la société se contentant d’annoncer que son travail pour le royaume comprenait « les relations avec les médias, la publicité, les relations gouvernementales, l’action de base et les communications en ligne ». Une version différente apparaissait en vue cachée, détectée par The Independent, selon laquelle le travail de l’entreprise « a effectivement servi à renforcer la relation de 80 ans entre le peuple saoudien et américain ». Reprieve souligne également que les contrats de Qorvis paraissaient contredire les déclarations publiques de Publicis sur la « responsabilité sociale des entreprises », selon laquelle l’agence s’est engagée à « soutenir et à respecter la protection des droits de l’homme, proclamés internationalement » et à veiller à ne pas « pas être complice des violations des droits de l’homme ». Donald Campbell, directeur des communications de l’ONG, a déclaré : « Il est difficile de croire Publicis avec son travail pour le gouvernement saoudien. Les autorités saoudiennes ont des antécédents de torture et d’exécution de d’opposants non violents… même des enfants. Pourtant, l’une des filiales de Publicis contribue à défendre les prétendue “réformes” du pays dans les médias, ainsi que l’utilisation par le gouvernement saoudien de la “peine ultime” contre les condamnés dans ses tribunaux profondément injustes… » La réponse de Publicis aux questions concernant ce travail semble être de s’enterrer la tête dans le sable ; presque toutes les mentions du travail de leur filiale Qorvis pour le royaume ont disparu de son site web depuis. En réponse à Reprieve, l’avocat de Publicis, Joseph La Sala, a déclaré : « En règle générale, nous avons pour politique de ne pas commenter publiquement le travail que nous effectuons pour nos clients, sauf dans la mesure où la loi nous le demande. Je vous suggère respectueusement de répondre à vos préoccupations concernant le comportement de l’Arabie saoudite [en vous adressant] à son gouvernement ». Publicis Groupe continue à travailler pour le pays tout en « surveillant la situation », a déclaré Maurice Lévy, bien que Riyad ait reconnu le meurtre de Khashoggi. Avant même que Riyad ait reconnu sa responsabilité dans l’assassinat, d’autres sociétés, notamment les lobbyistes américains Glover Park Group, BGR Group et Harbour Group, avaient rompu leurs liens commerciaux avec le royaume.

En France, au-delà des deux grands, d’autres sociétés ont bénéficié de la manne : Image 7, agence de communication d’Anne Méaux, a effectué des missions pour la fondation MiSK, qui appartient à MBS, notamment pour promouvoir la jeunesse et les femmes saoudiennes lors du Women’s Forum ou du salon Viva Technology à Paris, en 2017. Image 7 a également organisé le déplacement de trois journalistes en Arabie saoudite, en mars 2016, pour couvrir un exercice militaire important dans le nord-est du pays. Il en a été de même pour l’agence Steele & Holt, cofondée par Sylvain Fort.

À propos de l'auteur

Pierre Conesa

Agrégé d'histoire et ancien élève de l'ENA, ancien membre du Comité de réflexion stratégique du ministère de la Défense. Auteur de Dr Saoud et Mr Djihad : la diplomatie religieuse de l’Arabie saoudite (Robert Laffont, 2016) et de Le Lobby saoudien en France : comment vendre un pays invendable (Denoël, 2021).

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