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Défense, industrie de l’armement : la Turquie affiche ses ambitions

Poursuivant une politique ambitieuse d’équipement de son armée, la Turquie, membre de l’OTAN, est aujourd’hui une puissance militaire qui compte. Quel est concrètement l’état des forces armées turques ?

T. Bilener : L’armée turque est une armée qui suscite du respect et de la crainte, selon où vous vous situez. Cette dernière, qui est avec ses 800 000 hommes la seconde armée de l’OTAN et la huitième au monde en effectif, est en effet puissante, efficace et expérimentée. Son budget la place au 17e rang mondial avec une enveloppe d’environ 20 milliards d’euros par an. C’est donc l’un des rares pays de l’OTAN à dépenser plus de 2 % de son PIB pour sa défense.

Par ailleurs, la Turquie dispose d’une armée et d’un équipement modernes, bien formée, et qui a la capacité de se projeter à l’étranger. À ce sujet, le développement de l’industrie de défense turque est l’un des sujets qui intéressent tout particulièrement les experts militaires depuis plusieurs années. Il est aussi important de rappeler que la Turquie est également membre de l’OTAN depuis 1952, ce qui implique que les standards de l’OTAN sont en vigueur dans l’armée turque depuis soixante-dix ans.

La Turquie est exposée sur plusieurs fronts, internes comme au Kurdistan, mais aussi externes, notamment en Syrie ou en Irak. Dans quelle mesure cette expérience de terrain contribue-t-elle au développement de la défense turque ?

L’armée turque s’appuie sur une expérience importante de lutte contre le terrorisme, notamment contre le PKK dans le Sud-Est de la Turquie, mais aussi au-delà de ses frontières. C’est aussi le cas dans le Nord de l’Irak où l’armée turque mène des incursions depuis les années 1980. En parallèle, depuis les années 1990, l’armée turque a développé une capacité de combat asymétrique, de guerre de basse intensité et de longue durée. Il faut aussi souligner que le bilan humain de ces opérations antiterroristes est important. L’armée, qui est une armée nationale de conscrits (1), a en effet perdu des milliers de soldats depuis une quarantaine d’années.

C’est donc une armée qui connait l’épreuve du feu et qui est capable de mener des opérations difficiles. Nous pouvons aussi ajouter à son bilan opérationnel le débarquement au Nord de l’île de Chypre en 1974.

La montée en puissance de la Turquie, sur le plan militaire, se traduit également par l’établissement de bases militaires à l’étranger. Quelle est la stratégie d’Ankara à ce niveau ? Comment choisit-elle la localisation de ses bases militaires ?

La Turquie maintient actuellement des troupes militaires dans 13 pays. Bien sûr, le statut de ces troupes est divergent, que cela soit un maintien unilatéral de troupes comme au Nord de Chypre, de la Syrie ou de l’Irak, ou des accords bilatéraux entre gouvernements comme en Azerbaïdjan, ou dans le cadre d’opérations de maintien de la paix des Nations Unies ou de l’OTAN (Bosnie, Kosovo, Afrique).

La Turquie utilise son armée comme un instrument de politique étrangère depuis très longtemps. On peut notamment mentionner à cet égard la participation de l’armée turque à la guerre de Corée dans les années 1950.

Concernant les bases militaires proprement dites, il en existe actuellement deux : l’une au Qatar et l’autre en Somalie, chacune étant sur un côté de la péninsule arabique, dans une des régions stratégiques que sont le Golfe persique et la mer Rouge. La base militaire turque à Mogadiscio en Somalie, qui compte un effectif de 2 000 soldats, est particulièrement importante car il s’agit également d’un centre d’entrainement où la Turquie forme l’armée somalienne.

En 2021, Ankara produisait 70 % de son armement et ambitionne à l’avenir d’en produire 100 %. Comment expliquer ce changement de l’industrie de l’armement turque ? Le pays peut-il réellement produire 100 % de ses besoins en armement ?

Il y a une vingtaine d’années, l’objectif affiché était d’atteindre 100 % en 2023 pour le centenaire de la République. La Turquie n’a pas pu y arriver mais les progrès sont réels. En 2000, l’armée turque ne pouvait produire que 20 % de ses besoins et elle est aujourd’hui à 75 %. La vitesse de développement de la défense turque est donc tout à fait remarquable. Il demeure cependant beaucoup de choses à accomplir, mais son progrès et sa détermination de produire autant que possible en Turquie afin de réaliser son autonomie stratégique sont réels. À ce titre, l’armée turque investit dans tous les domaines. Elle a pour ambition de pouvoir produire tout ce dont elle a besoin : des équipements, des armes légères et lourdes, des munitions, des avions, des hélicoptères, et des navires de guerre. L’idée est de disposer de tout, même en petite quantité, et de pouvoir produire tout de façon autonome.

À propos de l'auteur

Tolga Bilener

Enseignant-chercheur à l’Université Galatasaray (Istanbul) et membre de la Chaire Méditerranée Moyen-Orient et du CERDAP2 (Centre d’études et de recherche sur la diplomatie, l’administration publique et le politique) de Sciences Po Grenoble, Université Grenoble Alpes.

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