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Armes hypersoniques : des capacités au service de la dissuasion stratégique de la Russie

Le troisième programme d’armes hypersoniques est le missile Tsirkon. Destiné à la flotte, le Tsirkon peut atteindre la vitesse de Mach-8 et il est mis en service aussi bien par une plateforme de surface que par un sous-marin nucléaire lanceur de missiles de croisière. Contrairement aux deux projets précédents, ce programme de missile se trouve au stade des essais avancés puisqu’en 2020 et 2021, 12 tirs ont été réalisés avec succès à partir de la nouvelle frégate Amiral Gorchkov (Projet 22350) et du SSGN K-560 Severodvinsk, unité tête-de-série du Projet 885. Tout porte à croire que la campagne de tests de ce missile ayant été considérée comme fructueuse, il entrera progressivement en dotation courant 2022 dans l’arsenal de la marine avant d’être probablement déclaré opérationnel en 2023. Le Tsirkon est tiré à partir de lanceurs verticaux (UKSK pour l’acronyme russe, l’équivalent des VLS américains), ce qui lui permettra a priori d’être mis en œuvre non seulement par les sous-marins du Projet 885 et les frégates du Projet 22350, mais aussi, à moyen terme, par d’autres plateformes, comme certaines corvettes du Projet 20380. Les croiseurs atomiques ex-soviétiques du Projet 1144.2, dont la première unité, l’Amiral Nakhimov, fait l’objet d’un onéreux programme de modernisation, seront également adaptés à l’emploi de ce type de munitions. Enfin, le ministère de la Défense envisage de doter des plateformes légères comme les patrouilleurs du Projet 22800 et les petits navires lance-missiles du Projet 21631 de versions miniaturisées du Tsirkon.

Enjeux et devenir des armes hypersoniques russes dans le cadre d’un dialogue revitalisé avec les États-Unis sur le désarmement

Quel serait le sort réservé à ces programmes dans le cadre des discussions sur la stabilité stratégique que Moscou entretient avec Washington ? Lors des négociations au sujet du renouvellement du traité New START (9), l’administration Trump ne cachait pas sa volonté d’élargir l’agenda des pourparlers aux « nouvelles armes » russes. Si le planeur hypersonique Avangard tombe dans le cadre de l’accord New START dans la mesure où il est monté sur des missiles relevant du régime de contrôle défini par ce texte, le Kinjal comme le Tsirkon échappent en revanche à tous les mécanismes existants. En outre, les États-Unis laissent entendre depuis des années qu’ils souhaitent intégrer les armes nucléaires non stratégiques que les Russes possèdent en nombre dans les discussions bilatérales sur le contrôle des armements, ce que le Kremlin refuse obstinément (10). Or, étant donné leurs caractéristiques, les missiles Tsirkon et Kinjal se trouvent à l’intersection des intérêts américains, si ce n’est en matière de contrôle, tout du moins en matière de transparence. Début 2022, Washington a remis sur la table le sujet des « nouvelles armes » dans le cadre de sa réponse fournie aux demandes russes en matière d’une redéfinition de la sécurité dans la zone euro-atlantique (11). Enfin, et même si ces armes et leurs vecteurs sont essentiellement tournés aujourd’hui vers les axes stratégiques du Grand Nord, de l’Ouest et vers la mer Noire, elles jouent aussi le rôle d’égalisateur de puissance vis-à-vis du voisin chinois. On peut difficilement imaginer la Russie renoncer à ces systèmes sans garanties que la Chine ne soit soumise à des contraintes similaires portant sur son arsenal, et ce, d’autant plus qu’en Occident, d’autres pays développent leur propre programme d’armes hypersoniques. En toute hypothèse, la production de ces armes a déjà contribué à atteindre certains objectifs : stimuler un dialogue stratégique avec Washington qui était en panne depuis près d’une décennie, tout en rehaussant le statut de grande puissance revendiquée par Moscou.

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Notes

(1) Traité américano-soviétique signé en 1972 qui limitait drastiquement le développement de systèmes anti-missiles.

(2) Conventionnelle ou nucléaire.

(3) Kelley M. Sayler, « Hypersonic Weapons: Background and Issues for Congress », Congressional Research Service, 19 octobre 2021, p. 4-12.

(4) Ibid., p. 2.

(5) SS-19 Mod 4.

(6) Article 32B de la Doctrine militaire de 2014.

(7) « Šojgu zaâvil o perevooruženii pervogo polka v Rossii na kompleks “Avangard” », Interfax, 21 décembre 2021.

(8) « Režet zvuk: zaveršeny arktičeskie ispytaniâ “Kinžala” », Izvestia, 18 janvier 2022.

(9) Traité sur le contrôle des armements stratégiques signé par les présidents Barack Obama et Dmitri Medvedev en 2011 pour 10 ans et prolongé pour 5 années supplémentaires par Joe iden et Vladimir Poutine en février 2021.

(10) Les Russes disposent d’un arsenal d’armes nucléaires tactiques dont le nombre est délicat à évaluer mais qui est nettement supérieur à celui détenu par les Américains. Voir Hans M. Kristensen & Matt Korda, « Russian nuclear weapons, 2021 », Bulletin of the Atomic Scientists, 77:2, p. 0-108.

(11) Voir en page 4 de la réponse américaine remise le 26 janvier 2022 aux autorités russes et dont le texte a été divulgué par le journal espagnol El Pais le 2 février suivant.

Légende de la photo en première page : Le 9 mai 2018, un MiG-31K effectue un vol lors du jour de la Victoire, équipé d’un missile hypersonique Kinjal. Le 20 mars, Moscou revendiquait le tir de deux de ses missiles hypersoniques Kinjal contre l’Ukraine. Selon le ministère russe de la Défense, le premier aurait visé un dépôt souterrain de munitions dans l’Ouest du pays et le second aurait atteint un dépôt de carburant. (© Mil​.ru)

<strong>Pour aller plus loin...</strong>
Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°67, « Quel avenir pour la Russie de Poutine ? », Juin-Juillet 2022.
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