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Robotique terrestre : perspectives tactiques

La guerre du Kippour a révélé la menace du missile antichar. Les embuscades égyptiennes, faites d’essaims de missiles et de roquettes, ont surpris les Israéliens. Pourtant, le colonel Goya souligne que les coups au but ne sont intervenus qu’au début du conflit (24). Les Israéliens se sont donc très vite adaptés. Il en sera de même avec les robots : de nouvelles parades, peut-être un simple grillage de poulailler ou du concertina, seront rapidement improvisées. D’autres, plus évoluées, verront aussi le jour, peut-être sous la forme des NNEMP (25). Des tactiques de « contre – essaim » seront également élaborées et perfectionnées. Cela appelle deux conclusions : d’une part, le robot seul ne suffit pas pour emporter la décision ; d’autre part, il ne doit pas être considéré comme une réponse parée de toutes les vertus. Loin de l’application de schémas habituels, une vraie robotique de combat, pour conserver son intérêt, doit appeler à la conception continue de modes d’action originaux.

Les unités robotisées bénéficieront de l’intérêt des candidats pour servir dans ce type de spécialité. Il existe déjà un véritable intérêt des candidats à l’engagement pour les drones (26). Il devrait être possible de s’appuyer dessus par le développement de spécialités propres. Elles pourraient aboutir à la création de postes spécifiques, comme le « squad operator » des Marines américains, qui est chargé de la mise en œuvre du ou des drones et robots du groupe. La formation de ces spécialistes ne prendra pas forcément beaucoup de temps. La supervision des moyens robotiques peut en effet être rapprochée de l’expérience de certains jeux vidéo : le pilotage sur une console est comparable à une simulation de vol ou de conduite et le commandement d’une mission robotisée ressemblerait à certains jeux de guerre. L’apprentissage, favorisé par la dualité entre les technologies civiles et militaires, sera suffisamment rapide pour autoriser une montée en puissance aisée des effectifs.

La production de la masse de drones et robots, en revanche, sera plus longue. Elle peut être accélérée si le choix est fait de robotiser des plateformes existantes. Cela présente l’intérêt d’utiliser des plateformes connues et de faciliter le soutien. Dans le domaine aérien, cette technique a remporté un certain succès lorsque les Azerbaïdjanais ont lancé vers les défenses antiaériennes arméniennes des An‑2 robotisés, qui ont permis de démasquer les batteries adverses. Cette idée peut être appliquée au milieu terrestre : l’armée australienne a commandé 20 M‑113 robotisés, qui ont été livrés en novembre 2021 (27). Ces démonstrateurs ont pris deux ans à être développés et présentent un mode d’autonomie complète. Des études avaient déjà été menées par l’US Army en 2009, qui concluaient qu’il fallait compter 70 000 dollars pour robotiser un HMMWV (28).

Guderian aurait aimé

Le 10 mai 1940, 10 % seulement de la Wehrmacht sont blindés. Ces 10 % ont remporté un « succès d’emploi », mais ils n’étaient pas seuls : ils formaient un binôme avec les Stuka et les percées étaient exploitées par les divisions d’infanterie. Un parallèle pourrait être établi avec les robots. En eux – mêmes, ils ne sauraient décider du succès tactique. Mais, même en nombre réduit, ils peuvent obtenir des effets décuplés.

Néanmoins, ils ne doivent pas être employés uniquement à réduire le potentiel ennemi. Leur utilisation raisonnée doit permettre d’obtenir la surprise et d’empêcher le chef adverse de réaliser son intention. Cela se prépare dès maintenant. Le déploiement des robots appelle toutefois une remarque. En effet, dans l’hypothèse d’un engagement majeur, si la surprise n’est pas atteinte d’emblée sur le terrain, les combats risquent de dégénérer en une attrition de machines ; or il n’est pas certain que leur régénération soit garantie. Dans ce cas, la meilleure arme redeviendra le soldat bien formé. Quel que soit le niveau, l’emploi des robots doit être pensé pour conserver à l’homme toute sa place au cœur du conflit. 

Notes

(1) Robert H. Latiff, Future War: Preparing For the New Global Battlefield, Alfred A. Knopf, New York, 2017, p. 22.

(2) Peter W. Singer, Wired for War, The Penguin Press, New York, 2009, p. 67.

(3) Richard Robert, « L’automatisation, troisième révolution des techniques de la guerre », École polytechnique, 9 novembre 2021 (https://​www​.polytechnique​-insights​.com/​d​o​s​s​i​e​r​s​/​s​c​i​e​n​c​e​/​f​a​u​t​-​i​l​-​a​v​o​i​r​-​p​e​u​r​-​d​e​s​-​r​o​b​o​t​s​-​t​u​e​u​r​s​/​l​a​u​t​o​m​a​t​i​s​a​t​i​o​n​-​t​r​o​i​s​i​e​m​e​-​r​e​v​o​l​u​t​i​o​n​-​d​e​s​-​t​e​c​h​n​i​q​u​e​s​-​d​e​-​g​u​e​r​re/).

(4) Voir Christopher A. Lawrence, War By Numbers: Understanding Conventional Combat, Potomac Books, Lincoln, 2017, p. 343. Autre exemple : lors de l’exercice Warfighter 21‑4, les pertes françaises s’élevaient à 1 700 morts et plus de 10 000 blessés en dix jours de combat. En mai-juin 2022, l’armée ukrainienne a connu des pertes similaires.

(5) Voir Peter W. Singer, ouvr. cité, p. 100.

(6) Voir Shawn Woodford, « The Russian artillery strike that spooked the US Army », Dupuy Institute, 29 mars 2017 (http://​www​.dupuyinstitute​.org/​b​l​o​g​/​2​0​1​7​/​0​3​/​2​9​/​t​h​e​-​r​u​s​s​i​a​n​-​a​r​t​i​l​l​e​r​y​-​s​t​r​i​k​e​-​t​h​a​t​-​s​p​o​o​k​e​d​-​t​h​e​-​u​-​s​-​a​r​my/).

(7) Systèmes d’armes létaux autonomes.

(8) Voir Autonomous Weapons Open Letter: AI & Robotics Researchers, Future of Life Institute, 9 février 2016 (https://​futureoflife​.org/​o​p​e​n​-​l​e​t​t​e​r​/​o​p​e​n​-​l​e​t​t​e​r​-​a​u​t​o​n​o​m​o​u​s​-​w​e​a​p​o​n​s​-​a​i​-​r​o​b​o​t​i​cs/, consulté le 1er décembre 2021.

(9) Systèmes d’arme létaux intégrant de l’autonomie.

(10) Centre d’entraînement en zone urbaine.

(11) Jean-Christophe Noël, « Intelligence artificielle : vers une nouvelle révolution militaire ? », IFRI, Focus stratégique no 84, octobre 2018, p. 48.

(12) Ibid., p. 55.

(13) Gordon Johnson, Joint Forces Command, cité par Peter W. Singer, ouvr. cité, p. 63.

(14) Entendu comme le cadre temporel de l’action.

(15) William G. Braun III, Stéfanie von Hlatky et Kim Richard Nossal (dir.), Robotics And Military Operations, Kingston Conference on International Security Series, Carlisle Barracks, 2018, p. 14‑15.

(16) Sydney J. Freedberg, « AI and robots crus foes in army wargame », Breaking Defense, 19 décembre 2019 (https://​breakingdefense​.com/​2​0​1​9​/​1​2​/​a​i​-​r​o​b​o​t​s​-​c​r​u​s​h​-​f​o​e​s​-​i​n​-​a​r​m​y​-​w​a​r​g​a​me/).

(17) Kevin L. Foster et Mikel D. Petty, « Estimating the tactical impact of robot swarms using a semi-automated forces system and design of experiments methods », Journal of Defense Modeling and Simulation, vol. 18, no 3, juillet 2021.

(18) Constat de l’auteur, avril 2019. On pourrait aussi confier plusieurs robots à un contrôleur. Mais l’efficacité de celui-ci diminue de 50 % pour un robot ajouté – cf. Peter W. Singer, ouvr.cité, p. 126.

(19) La technologie clé qui a autorisé ce succès était un « cloud de combat », simulé puisqu’il reste à créer…

(20) Charles Ardant du Picq, Études sur le combat, Economica, Paris, 2004, p. 39.

(21) Voir Christopher A. Lawrence, ouvr. cité, p. 121-137 : sur 295 engagements, une étude montre que la surprise n’est quasi jamais du côté du défenseur – seulement 1,02 % des cas –, mais que l’attaquant l’obtient dans environ 10 % des cas. Obtenir la surprise augmenterait les chances de succès de 50 à 70 %. L’avantage informationnel double les chances de surprendre l’ennemi.

(22) Voir Paul Scharre, Army of None. Autonomous Weapons and the Future of War, W.W. Norton & Company, New York, p. 12.

(23) Low-cost UAV swarming technology.

(24) Michel Goya, Sous le feu, Tallandier, Paris, 2015, p. 194.

(25) Non-nuclear electromagnetig pulse : impulsion électromagnétique non nucléaire.

(26) Jean Lassalle et Stéphane Baudu, Rapport d’information de l’Assemblée nationale en conclusion de la mission d’information sur la guerre des drones, Assemblée nationale, Paris, 7 juillet 2021, p. 31.

(27) « BAE Systems Australia has delivered 20 autonomous M113AS4 APCs to Australian army », Army Recognition, 22 novembre 2021 (https://​www​.armyrecognition​.com/​d​e​f​e​n​s​e​_​n​e​w​s​_​n​o​v​e​m​b​e​r​_​2​0​2​1​_​g​l​o​b​a​l​_​s​e​c​u​r​i​t​y​_​a​r​m​y​_​i​n​d​u​s​t​r​y​/​b​a​e​_​s​y​s​t​e​m​s​_​a​u​s​t​r​a​l​i​a​_​h​a​s​_​d​e​l​i​v​e​r​e​d​_​f​o​u​r​_​a​u​t​o​n​o​m​o​u​s​_​m​1​1​3​a​s​4​_​a​p​c​s​_​t​o​_​a​u​s​t​r​a​l​i​a​n​_​a​r​m​y​.​h​tml).

(28) Peter W. Singer, ouvr.cité, p. 89.

Légende de la photo en première page : Un robot Uran-9 russe. Jusqu’ici, la robotique militaire ne s’est pas encore avérée décisive – mais l’expérience s’accumule. (© Andrey 69/Shutterstock)

Pour aller plus loin...
Article paru dans la revue DSI n°166, « Guerre en Ukraine : la défense sol-air de Kiev », Juillet-Août 2023.
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